Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

Pandémie dans le temps et la littérature

Les pandémies dans le temps et la littérature

Une pandémie nous a surpris au cœur de cet hiver 2020 et submerge le monde entier, faisant des milliers de morts paralysant l’économie, la vie quotidienne et nous confinant à la maison. Des situations semblables se sont déjà produites à cause de virus plus ou moins exterminés aujourd’hui, situations dont la littérature se fait souvent l’écho.

I) Aujourd’hui

Le virus qui nous inquiète aujourd’hui est le SARS-COV2 : Corona virus disease (maladie) appelé couramment COVID-19. C’est un corona virus (en forme de couronne) du même groupe génétique que le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) qui a tué 800 personnes en 2003. Il a commencé fin 2019 au centre de la Chine précisément à Wuhan, capitale de la province de Huble. Il a d’abord atteint les clients du marché de poissons où se vendent également oiseaux, serpents, lapins, chauves-souris… C’est une maladie animale transmissible aux humains ; son réservoir est la chauve-souris et l’hôte intermédiaire le 4 pangolin. De la Chine, le virus a voyagé en Iran, Italie, Espagne, États-Unis, Canada, soit 152 pays dont la France, faisant des milliers de morts. Aucun traitement ni vaccin n’existent à l’heure actuelle (25 avril 2020) et nous sommes en confinement.

II) Hier

Les épidémies devenues pandémies sont nombreuses dans l’histoire. Les plus importantes, chronologiquement sont celles de :

1) la peste

Certaines pestes sont des pestes noires, d’autres mal identifiées sont en fait des varioles ou des typhus.

a) La peste d’Athènes touche la Grèce antique de 430 à 426 avant J.-C. et cause environ 70 000 décès dont celui de Périclès (1/3 de la population). On pense aujourd’hui qu’il s’agissait non de la peste, mais du typhus.

b) La peste antonine ou galénique frappe l’Empire romain à la fin de la dynastie "antonine" et fait dix millions de morts entre 166 et 189 dont deux empereurs : Lucius Verus et Marc Aurèle. On l’attribue à la variole, maladie infectieuse semblable.

c) La peste de Justinien débute en Égypte autour de l’an 540, atteint Constantinople au printemps 542 où elle fait plus de dix mille morts. Suivant les voies de commerce de la Méditerranée, elle ravage les côtes, dont l’Italie à plusieurs reprises, remonte jusqu’en Irlande et Grande-Bretagne. Elle se propage également à l’Est en Syrie. Elle refait surface cinquante ans après (entre vingt-cinq et cent millions de victimes) et marque le début du Moyen Âge.

d) La peste noire, de 1347 à 1351 (vingt-cinq millions de morts), causée par une bactérie, Yersinia pestis, aurait décimé plus de la moitié de la population européenne. Elle s’est propagée en Europe du Sud, vers le nord et a touché plusieurs régions du Proche-Orient. Réapparue au cours des décennies suivantes elle a occasionné la mort de plus de cent millions de personnes.

e) La grande peste de Londres sévit durant l’hiver 1664.65 (de 80 000 à 100 000 victimes), sans doute apportée par les bateaux venant des Pays-Bas. Elle fut éradiquée par le grand incendie de Londres en septembre 1666 qui détruisit les quartiers les plus insalubres. Les Anglais se sont mis à parler leur langue actuelle à la suite de cette peste, les élites intellectuelles parlant français ayant été décimées. Toutes ces pestes noires ont frappé pendant des siècles bouleversant la vie économique, sociale, religieuse jusqu’en 1894 où Yersin démythifie le fléau en déclarant rats et puces responsables. Il ne faut pourtant pas reléguer cette peste au rang des maladies disparues.

2) La variole

De 1518 à 1650, elle est responsable de la disparition de plus de 75% de la population amérindienne de l’époque. Au cours des siècles suivants, elle a entraîné des pandémies responsables de milliers de morts (vingt-mille en Inde en 1977) dont Louis XV en 1774. Elle a été éradiquée par le vaccin mis au point par le médecin anglais Jenner vers 1815. 3) Les maladies transmises par un moustique (Tigre par exemple)

a) La dengue Endémique dans les pays tropicaux elle arrive ensuite dans les régions tempérées, en 1784 en Espagne, 1890 à Naples, 1916 aux Dar

b) Zika Ce virus est identifié en 1947 en Ouganda. Il arrive en France après avoir sévi en Amérique, Guyane, Martinique et il n’existe aucun traitement.

c) Le chikungunya La maladie et endémique en Afrique et en Asie du Sud. En 2005 on note une importante épidémie dans l’Océan indien, notamment à la Réunion. En 2007 l’Europe est atteinte et même 5 le Sud de la France. Puis c’est le tour du continent américain en 2013.2014. Aucun traitement n’existe sinon symptomatique.

d) La malaria ou paludisme Se développe dans les zones tropicales (500 000 morts en 2014 en Afrique). Aucun traitement n’existe pour l’éradiquer mais un traitement est utilisé et consiste à prendre certains produits avant le départ dans les pays concernés, puis au retour.

4) Le choléra

Cette maladie épidémique, strictement humaine est due à des bactéries. Elle reste une menace dans les pays où l’hygiène est précaire. La première pandémie (1817) a causé des ravages en Europe occidentale jusqu’en Sibérie orientale en passant par l’Inde et les Philippines. La 7 ème épidémie est partie de l’Indonésie en 1961, envahissant tour à tour, l’Asie, le Moyen-Orient, une partie de l’Europe, le continent africain puis l’Amérique latine. Aujourd’hui c’est en Afrique que le choléra sévit le plus. Il entraîne chaque année environ 100 000 décès pour 4 millions de cas recensés.

5) Ebola en 2014

Le virus découvert en 1976 en République Démocratique du Congo ex-Zaïre provoque une mortalité entre 25 et 90%. C’est un des virus les plus dangereux du monde. En 2013 il part du S.E. de la Guinée avant de s’étendre au Libéria, Nigéria, Mali, Etats-Unis, Sénégal, Espagne, Royaume Uni, Italie 2014. Aucun traitement n’existe sinon symptomatique.

6) Les grippes

a) La grippe espagnole (souche H1N11 2) est la pandémie la plus mortelle de l’histoire. Originaire de Chine elle doit son nom au roi d’Espagne Alphonse XIII, l’une des plus célèbres victimes. Elle s’est propagée dans plusieurs pays et continents en moins de trois mois. De 1918 à 1919 elle fait davantage de victimes que la guerre contaminant plus d’un tiers de la population mondiale.

b) La grippe asiatique identifiée pour la première fois en Chine en 1956 provient d’une mutation de canards sauvages et d’une souche humaine de grippe. Elle a atteint Singapour, puis Hong Kong, puis les USA en quelques mois, faisant plusieurs millions de victimes dans le monde. Sa souche a évolué en H3N2 et entraîne une autre pandémie en 1968- 1969 (grippe de Hong Kong) tuant un million de personnes.

c) La grippe aviaire. Le virus H5N1 a été repéré pour la première fois en 1997 lors d’une épidémie à Hong Kong (6 morts). Il est réapparu fin 2003 touchant d’abord la volaille puis quelques humains.

d) La grippe porcine s’est déclarée en Italie en 1976 et dans toute l’Europe en 1979. Elle a atteint les porcs, beaucoup moins les hommes (12 cas aux USA depuis 2005). C’est sa forme H1N1 qui a causé l’épidémie de grippe en 1918.

e) La grippe saisonnière chaque hiver ne présente pas toujours les mêmes caractères. De 2009 à 2010 c’était une grippe A (H1N1) qui s’est répandue sur la planète sans faire beaucoup de morts.

7) Le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), parti de Chine en 2002 a éclaté au niveau mondial en 2003 (plus de 8000 cas, près de 800 morts). Il a pu être endigué par des mesures d’isolement grâce à une mobilisation internationale sans précédent déclenchée le 12 mars 2003 par l’OMS. L’agent causal du SRAS est un coronavirus (le SAR-COV) rapidement identifié. Son réservoir est une chauve-souris insectivore. L’hôte intermédiaire qui a permis son passage chez l’homme est la civette palmiste masquée, animal sauvage vendu sur les marchés et consommé au sud de la Chine. La transmission principale se fait par voie aérienne par des gouttes de salive contaminée, par le système d’évacuation des égouts, des objets contaminés, etc. C’est lui qui revient aujourd’hui, moins mortel et plus infectieux.

8) Le SIDA (Syndrome d’Immunodépression acquise) 

Les premiers signes remontent à la fin des années 70 mais l’alerte n’a été vraiment donnée qu’en juillet 1981. Depuis le SIDA a causé plus de 30 millions de décès à travers le monde, chiffre qui malgré les traitements (aucun vaccin à ce jour) continue de croître. Il est transmis par voie sexuelle ou sanguine. Nous constatons donc que depuis toujours les hommes ont connu des pandémies plus ou moins sévères. Cela ne peut, hélas que continuer. Nous recevons en ce moment une magistrale leçon d’humilité car ni la science, ni l’économie, ni la politique ne nous ont outillés pour faire face. Aujourd’hui le COVID- 19 terrorise l’humanité depuis plus de quatre mois et on ignore tout sur lui. Nos lendemains se présentent houleux sur tous les plans, psychologiques, économiques et humains. Nous ne pouvons qu’espérer comme l’ont fait nos prédécesseurs à l’occasion d’épidémies dont la littérature se fait l’écho, surtout en ce qui concerne la peste.

III) Les épidémies en littérature

Elles ont inspiré de nombreux écrivains à toutes les époques.

1) Souvent sous formes allégoriques, c’est le cas dans

a) La Peste où Camus, l’auteur raconte une épidémie de la peste bubonique survenue à Oran en 1945 et succédant à une épidémie en 1944 à Alger. Le projet de l’auteur remonte au mois d’avril 1941 et consiste à parler du nazisme que l’on appelait « la peste noire » pendant la Seconde Guerre mondiale.

b) « Les animaux malades de la peste » de La Fontaine au XVIIe siècle. À travers « ce mal qui répand la terreur » l’auteur fabuliste, critique le pouvoir arbitraire du roi qu’il représente comme un lion qui « dévore », et les courtisans hypocrites et flatteurs. Il fustige également la justice qui ne juge pas le crime mais le rang : « Selon que vous serez puissants ou misérables les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

c) Le Hussard sur le toit (1951) de Giono L’auteur a organisé l’intrigue autour du choléra pour sa force symbolique et révélatrice des passions humaines en cas de catastrophe comme la guerre ou de désastres naturels. Son héros, un jeune colonel des hussards chargé d’une mission traverse la Provence où sévit le choléra en 1830.

d) Oedipe roi de Sophocle au Ve siècle avant J.-C. La peste est ici une métaphore de la violence qui se répand dans la ville de Thèbes de façon contagieuse. « On doit cette souillure nourrie sur le sol, la chasser du pays ». Selon le professeur Antoine Compagnon, la pandémie actuelle a clairement une portée allégorique au-delà de ses manifestations au jour le jour. Elle est inséparable de la mondialisation extrême des échanges. Le virus s’est propagé par trois circuits principaux : la délocalisation industrielle, le tourisme, et les rassemblements religieux.

2) Sous forme narrative

a)Très souvent à propos de la peste avec :

- BOCCACE (1313-1375) dans Le Décaméron (1349) décrit la peste noire à Florence en 1348 et l’impact de l’épidémie sur la vie sociale de la cité : « combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux que Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis et le soir venu soupèrent en l’autre monde avec les trépassés ».

- Daniel DEFOE (1661-1731) dans Le Journal de la peste (1722) L’auteur de Robinson Crusoé, également journaliste, vit la peste de 1720 à Marseille et en profite pour faire un reportage cru et réaliste sur la peste de 1665 à Londres, ville atteinte pour la quatrième fois dans le siècle.

- Marcel PAGNOL (1895-1974) dans Les Pestiférés (1977) nouvelle publiée après sa mort dans Le temps des amours, a ravivé l’épidémie de peste survenue à Marseille en 1720. Il nous plonge dans les aventures d’une petite communauté marseillaise où les gens 7 s’enduisent d’un liquide soi-disant efficace contre la contagion : « Le vinaigre des quatre voleurs » équivalent de notre gel hydro-alcoolique.

Les contemporains continuent à écrire sur la peste comme par exemple

- Bernard CLAVEL (1923-2010) romancier, avec la peste de 1630-1640 en Franche Comté dans La saison des loups. - Fred VARGAS (1957- ) dans Pars vite et reviens tard. Elle s’est inspirée de multiples pestes pour décrire le fléau qu’elle fait intervenir dans son polar. « Ce fléau est toujours prêt et aux ordres de Dieu qui l’envoie et le fait partir quand il lui plaît. »

- Jacqueline BROSSOLET avec Pourquoi la peste (Gallimard 1994)

- Kevin SANDS avec Le Trésor Black Thorn (Bayard jeunesse 2017)

- Jean VITAUX avec Histoire de la peste (PUF 2010).

- Andrée JAPP avec Le fléau de Dieu (Flammarion 2015).

- Minette WALTERS, la grande dame du roman noir anglo-saxon, avec Dernières heures (Robert Laffont 2019). Etc.

Si de nombreux écrivains ont écrit sur la peste, quelques uns se sont penchés sur d’autres épidémies comme :

- Thomas MANN (1875-1955) qui fait de La montagne magique un roman de confinement par la tuberculose.

- Jean-Marie LE CLEZIO (1940- ;) dans La quarantaine (1995) qui évoque l’expérience de l’isolement sur une île de l’Océan indien fin du XIXe siècle au cours d’une épidémie de variole à Zanzibar.

- Philippe ROTH (1933-2018) dans Néméris, dernier roman de sa carrière, se révolte contre une épidémie de poliomyélite survenue en 1944 aux États-Unis.

- Françoise BERIAC (1949- ;) « Histoire des lépreux au Moyen- Age » (1988)

- Martine LE COZ dans Céleste (2001) à propos du choléra à Paris en 1832. « Le choléra s’était «étendu en quelques jours à toute la capitale. Les gens se claquemuraient….Le médecin passait quand il pouvait. »

Que dire sur ces épidémies, ces pandémies qui de tous temps se sont abattues sur les humains, les perturbant, les décimant, les contraignant à des isolements, des confinements ? Les écrivains nous les ont racontées sous forme allégorique ou non, les scientifiques les ont combattues mais il en est toujours une qui émerge et nous laisse démunis malgré les progrès de l’hygiène au XIXe siècle, la découverte de l’asepsie, les premières vaccinations grâce à Jenner à la fin du XVIIIe siècle, l’apport de Pasteur au XIXe siècle qui mit au point les vaccins antidiphtériques et antirabique, l’utilisation massive des antibiotiques dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Malheureusement, dès 1980 sont apparues des résistances aux antibiotiques, des maladies émergentes somme le sida. Depuis, dans de nombreux pays se sont développés les SRAS, le chikungunya, Ebola, les grippes aviaires, mexicaines, H1N1 et maintenant survient le COVID19.

Ne faudrait-il pas revoir nos méthodes de vie, constater que de plus en plus de virus nous sont transmis par des animaux, ces animaux que nous maltraitons, chassons de leurs repaires par la déforestation massive qui à Bornéo a conduit à la recrudescence de la malaria, au Brésil à la hausse de 50% du paludisme, au Libéria et en Sierra Léone à l’épidémie Ebola.

Il est nécessaire de ne pas surexploiter notre milieu en pillant ses richesses, en polluant toujours plus. Comment se remettre en question une fois l’orage passé ? Faut-il croire l’auteur de Robinson Crusoé écrivant à la suite de l’épidémie londonienne de la peste : « Toutes choses reprirent leur cours, redevenant ce qu’elles étaient auparavant. » ?

Andrée CHABROL-VACQUIER