ETUDE - VICTOR HUGO
AUTOMNE 2024
Victor HUGO
I) Sa vie
Victor Hugo est né le 26 février 1802 à Besançon dans une famille de deux enfants, Abel et Eugène, nés respectivement en 1798 et 1800. Son père Léopold officier dans l’armée et sa mère Sophie Trébuchet, d’origine vendéenne, se séparèrent peu après sa naissance, Mme Hugo ayant un amant, le général Fanneau de Lahorie. Celui-ci fut le parrain et un des précepteurs du petit Victor mais il fut fusillé en octobre 1812, soupçonné d’être impliqué dans un complot contre l’empereur. Les enfants Hugo furent ballotés entre Sophie, restée à Paris, et Léopold dont les affectations se succédèrent : Corse, Ile d’Elbe, Naples, Espagne. Victor Hugo commence très tôt à écrire des vers et en juillet 1816 aurait noté sur un carnet : « Je veux être Chateaubriand ou rien. » Ses poèmes lui valurent d’être primé aux Jeux Floraux de Toulouse à l’âge de 15 ans, d’avoir l’estime des milieux littéraires et une pension de Louis XVIII. Il affiche des idées catholiques et monarchiques. Sa destinée s’emballe à la mort de sa mère en 1821 et en 1822 (il a 20 ans). Il épouse une amie d’enfance, Adèle Foucher, malgré les réticences du père de la jeune fille qui hésitait à donner sa fille à un jeune homme sans le sou. Vigny fut son témoin à la cérémonie. S’enchaînent alors les naissances dans le couple : Léopold, le 16 juillet 1823, qui meurt la même année, Léopoldine, le 28 juillet 1824), Charles, le 4 novembre1826, François-Victor, le 28 octobre 1828, Adèle, le 28 juillet1830.
Poète, romancier, homme de théâtre, Hugo devient le chef de file du courant romantique. Se pressent alors chez lui les Mérimée, Lamartine, Musset, Delacroix, Sainte-Beuve. Il triomphe dans le théâtre et la littérature, mais parallèlement vit des déceptions du côté de sa femme qui le trompe avec Sainte-Beuve et des drames comme la mort de sa fille Léopoldine, en 1843, au cours d’une traversée en barque sur la Seine.
En 1851 Hugo se dresse contre Louis Napoléon Bonaparte qu’il avait d’abord soutenu et s’exile après le coup d’État du 2 décembre. Réfugié politique, il part d’abord à Bruxelles puis à Jersey, enfin Guernesey où il achète la "masure" de Hauteville House. Proscrit, il devient pour toute l’Europe le symbole de la liberté combattante. Pendant cette période il écrit beaucoup et termine Les Misérables. Son exil va s’achever avec le retour de la République. Il est élu député en février 1871 et devient un patriarche des banquets démocratiques. Il s’occupe beaucoup de ses petits enfants tout en continuant d’écrire. Dans la nuit du 27 au 28 juin 1878, il a une congestion cérébrale, mais continue à publier. En 1812, 600 000 personnes fêtent ses 80 ans et l’avenue d’Eylau est rebaptisée avenue Victor-Hugo. En 1883 il pleure la mort de Juliette Drouet, sa fidèle maîtresse, sa femme Adèle étant morte en 1868. En 1885 arrive son tour de quitter la scène. Le 22 mai, il a droit à des funérailles nationales alors qu’il avait demandé d’être enterré comme un pauvre. ll est enseveli au Panthéon le 1er juin au milieu d’une foule immense.
II) Hugo et la politique
Installé bien à droite au début du siècle, Victor Hugo quitte la scène quatre-vingts ans plus tard en incarnant la plus pure des gauches républicaines. Il sera tour à tour le jeune poète prodige soutien exalté de la Monarchie sous Louis XVIII et Charles X. La Monarchie de Juillet lui fait franchir le pas de la politique active. Louis Philippe le nomma pair de France. Après la révolution de 1848 il s’engage plus avant. D’abord partisan de Louis Napoléon Bonaparte, il soutient sa candidature à l’élection présidentielle, mais le coup d’État de 1851 le voit devenir au prix d’un interminable exil l’adversaire le plus résolu de celui qu’il appelle « Napoléon le Petit » et du Second Empire. Après la défaite de 1870 il revient en France auréolé d’une gloire immense et se transforme en icône de la République.
III) Hugo et les femmes
De la même façon qu’il fut royaliste avant de devenir républicain Hugo fut chaste et fleur bleue avant de développer une addiction sexuelle toujours plus incontrôlable, de devenir selon l’écrivain Patrick Tudoret « un satyre ». Vu leur grand nombre (admiratrices, domestiques, prostituées, actrices), nous ne citerons que ses relations féminines les plus remarquables :
1) Adèle FOUCHER qui restera sa seule épouse et décèdera dans ses bras, d’une crise d’apoplexie en 1868 à Bruxelles. Elle était une amie d’enfance qu’il épousera en 1822 après 3 ans de chastes fiançailles. Assez froide, sans ambition, elle se montrait indifférente aux succès littéraires de son mari d’autant plus qu’elle se sentait fatiguée par cinq grossesses rapprochées. Après la dernière naissance elle se détacha de lui et prit Sainte-Beuve comme amant. Se sentant doublement trahi, Hugo se consola auprès de l’actrice Juliette Drouet.
2) Juliette DROUET (1806-1883) est une actrice sans beaucoup de talent, ancienne maîtresse du sculpteur Jacques Pradier dont elle a une fille Claire. D’une beauté émouvante elle séduit bien des hommes dont Hugo qu’elle rencontre en 1833. Elle abandonne bientôt sa carrière théâtrale pour se consacrer à son amant qui exige d’elle une vie cloîtrée et monacale. La liaison devient notoire et attire les foudres d’Adèle qui plus tard se rapprochera d’elle, l’invitera à sa table et devenue aveugle lui demandera de lui faire la lecture. En fait Adèle a transmis le témoin à Juliette avant de s’éteindre, laquelle deviendra très proche des enfants et des petits enfants Hugo. Il faut insister sur sa fidélité au grand homme qu’elle suivra toujours dans ses exils en se logeant à proximité. Elle mourut le 11 mai 1883 à son domicile parisien du 124 avenue Victor-Hugo.
3) Léonie BIARD (1820-1879) romancière, dramaturge, exploratrice. Elle eut avec Hugo une liaison de sept ans marquée d’un constat d’adultère (à la demande du mari) qui ne s’interrompra qu’avec l’exil du poète.
4) Blanche LANVIN femme de chambre de Guernesey est une de ses dernières passions. Il la rencontre en 1870 alors qu’elle avait seulement 21 ans et lui presque 70. Malgré la colère de Juliette, leur relation durera neuf ans, jusqu’au mariage de la jeune femme.
Hugo est dans tous les domaines de la démesure. Héros littéraire il fut également notre Éros des alcôves.
IV) Hugo et son œuvre
Poésie, romans, Victor Hugo a touché à tous les genres avec le souci de les renouveler, avant de devenir au fil du temps le grand écrivain officiel. Des Misérables à tous ses autres livres incontournables, essayons de faire le tour de son œuvre gigantesque.
1) Les Misérables est le « principal sommet » de son œuvre. À la parution, en 1862, le succès est immédiat. Hugo se trouve alors en exil. Il a mis dix-sept ans à rédiger ce roman, commencé sous un autre titre : « Les Misères ». Il a réalisé là une vaste fresque historique, sociale et humaine, dans laquelle les destins personnels des personnages s’entrecroisent avec les forces de la société et les mouvements de l’histoire. Le roman compte 365 chapitres répartis en cinq parties portant pour quatre d’entre elles le nom d’un des protagonistes : Fantine, Cosette, Marius, Jean Valjean. Hugo se fait le chantre des pauvres qui connaissent la misère, le chômage. Il dénonce l’appareil judiciaire, la peine de mort, veut amender la société par la réforme des âmes.
2) Les incontournables
a) Les Orientales (1829) qui, parmi quarante poèmes, recèle de purs chefsd’œuvre comme « Les Djinns », « Clair de lune ».
b) Notre-Dame de Paris (1831) roman où la perspective historique, le travail de documentation, la parabole politique et le savoir-faire romanesque sont impressionnants de maîtrise littéraire.
c) Claude Gueux (1834) : inspiré par un fait divers, ce récit est aussi bref qu’engagé, à la fois tableau de la misère et magnifique leçon de civisme, vibrant réquisitoire contre la peine de mort.
d) Ruy Blas (1838) : drame romantique en cinq actes
e) Napoléon le Petit (1852) : pamphlet acide contre la personne et le milieu de Napoléon III.
f) Les Contemplations (1856) : 158 poèmes en un recueil du souvenir, de l’amour, de la joie mais aussi de la mort, du deuil et d’une certaine foi mystique. S’y trouve le poème dédié à sa fille Léopoldine : « Demain dès l’aube… »
g) Les travailleurs de la mer (1864) : roman dédié aux îles anglo-normandes qui l’ont accueilli durant son exil. Un grand livre souvent ignoré, pourtant habité par la magie de l’écriture.
h) L’homme qui rit (1869) : boudé par le public à sa parution, il est l’une des sources les plus déroutantes de V. Hugo C’est un roman historique, philosophique et politique situé en Angleterre. C’est un chef-d’œuvre original.
i) Quatre-vingt-treize (1874) : ultime roman de V. Hugo, magistral. Il a été publié à titre posthume et a pour toile de fond les plus terribles années de la Révolution française. Il nous décrit la Vendée en armes.
j) Choses vues (1887) : c’est un recueil de notes et de mémoires de l’auteur publié à titre posthume en 1887 et 1900. V. Hugo y relate les événements survenus au cours de sa vie, par exemple la mort de Talleyrand, le transfert des cendres de Napoléon III ou l’avènement de la Troisième République.
V) Hugo et la poésie
En quatre-vingt-trois ans d’existence Hugo a écrit 153 837 vers soit une moyenne de 6 vers par jour. C’est par la poésie qu’il est entré en littérature avec, à l’âge de 19 ans, le recueil Odes qui lui vaut d’être repéré par Louis XVIII. Au cours des six années suivantes il compose des Ballades. C’est avec Les Orientales qu’il obtiendra la gloire. Il y défend le peuple grec opprimé par les Turcs. Son exil, vingt-deux ans plus tard, lui donne l’occasion d’écrire Les Châtiments, recueil d’abord publié en contrebande qui paraît en France en 1870 et obtient un immense succès. Entre 1846 et 1855 sont publiées Les Contemplations (158 poèmes), livre organisé en deux parties : « Autrefois » et « Aujourd’hui ». Dans ce recueil Hugo exprime la nature et l’amour sous forme de poèmes brefs, mais c’est aussi une œuvre de nostalgie et en particulier du souvenir de Léopoldine. Écrite par intermittence entre 1855 et 1876, La légende des siècles est une œuvre monumentale destinée à dépeindre l’histoire et l’évolution de l’humanité ; elle est l’œuvre d’un exilé et on y trouve le poème célèbre « La conscience ». En 1877 paraît L’art d’être grand-père dédié à ses petits enfants, Georges et Jeanne, dont il a la charge après la mort d’Adèle en 1868, et de son fils Charles en 1817. Ce recueil qui compte vingt-sept poèmes sera sa dernière œuvre.
VI) Hugo et le théâtre
Le théâtre fut pour Hugo un sport de combat, de ses premières pièces qu’il n’arrivait pas à monter à ses dernières œuvres très sociales. Il a commencé à écrire pour lui, pour son plaisir : à sept ans il imagine des saynètes pour son théâtre de marionnettes ; à dix ans il a déjà signé deux mélodrames, à quatorze-ans deux tragédies et un vaudeville. À dix-huit ans il présente Inez de Castro au théâtre du Panorama dramatique. La pièce est acceptée mais pas montée. Même déception avec Any Robsar qui va attendre six ans sur une étagère du théâtre de l’Odéon avant d’y être jouée en 1828. En 1827 il publie Cromwell. Démesurée, (6920 vers) cette pièce est injouable, mais sa préface provoque un coup de tonnerre, car à tout juste vingtcinq ans, Hugo y envoie balader la règle des trois unités qui corsète le théâtre classique (il ne conserve que l’unité d’action). Il préconise un "drame romantique" où tout peut se côtoyer, le sublime et le grotesque, le prosaïque et le merveilleux. Le 25 février 1830 a lieu la première d’Hernani. La salle de la Comédie française est coupée en deux : au parterre les partisans de
Hugo, au balcon les néoclassiques. Les applaudissements l’emportent et, avec eux, le 7 Romantisme. Dans la foulée de cette victoire Hugo écrit Le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Ruy Blas, Marion Delorme, Les Burgraves en 1843. Cette année-là, il est laminé par la mort de sa fille Léopoldine, occupé par ses fonctions de député et pair de France. Il délaisse le théâtre durant quelques années. Pendant son exil de dix-sept ans ses pièces seront interdites de représentation mais s’arracheront à son retour avant de connaître un long purgatoire après sa mort. Finalement il finira par reprendre sa place de géant sur les scènes françaises de Jean Vilar à Antoine Vitez puis de Laurent Pelly à David Bobée. En 2030 on fêtera les deux cents ans de la bataille d’Hernani.
Conclusion : Victor Hugo n’a pas fini de faire parler de lui, tant il a marqué le XIXe siècle et notre littérature. Doté d’un égo surdimensionné il voulait dévorer la vie mais aussi y laisser son empreinte par la création et l’engagement. Il demeure éternel grâce aux multiples adaptations
de son œuvre au cinéma, en dessin animé ou sous forme de comédie musicale et n’a jamais perdu le jeune public. Dans les écoles françaises il reste la référence.
De nombreux écrivains se revendiquent encore de lui comme Sylvain Tesson, François-Henri Desérable, Alain Mabanckou, Christian Signol et tant d’autres. Tous les académiciens ne sont pas immortels, lui si.
Andrée CHABROL-VACQUIER
PRINTEMPS 2024
Quelles sont aujourd’hui nos raisons d’espérer ?
Du 1er au 3 décembre 2023, la ville de Pau a fêté la 9ème édition de la manifestation culturelle annuelle : « Les idées mènent le monde » qui réunit gratuitement au Palais Beaumont de très nombreux spectateurs autour de personnalités (23 cette année) venues gracieusement exposer leurs idées sur le thème choisi qui était : « Quelles sont aujourd’hui nos raisons d’espérer ? »
Nous nous limiterons à citer les idées de quelques invités :
1° Monique Atlan et Roger-Paul Droit, respectivement journaliste et philosophe, sont dans leur ouvrage : L’espoir a –t-il un avenir ?, des avocats de l’espoir qui est pour eux l’enjeucollectif de notre siècle. Un sondage datant de dix a ns révèle que les Français croyaient moins
en l’espoir que les Irakiens en guerre. Aujourd’hui, un nouveau sondage note que 72% des Français n’ont toujours pas d’espoir pour l’avenir. Peut-être, dit le couple de Français, sont-ils trop impatients, trop pressés.
Il ne faut pas désespérer mais compter sur les actions de solidarité, les initiatives des associations pour l’environnement, la création de liens, et aussi les progrès scientifiques et lesnouvelles technologies. À côté d’espoirs illusoires existent des aspects lumineux comme le progrès pour l’égalité hommes-femmes, la prise de paroles de victimes. Tout n’est pas joué si l’on agit avec intelligence, détermination en conservant ’Espoir.
2° Rachel Khan, conseillère à la culture de Jean-Paul Huchon, en Ȋle-de-France, jusqu’en 2015, actrice, scénariste, écrivaine, affirme qu‘espérer est le fil rouge de sa vie, d’autant plus qu’elle a un pedigree spécial (père gambien musulman, mère française d’origine juive polonaise). Par-delà la diversité des humains, elle veut trouver leur socle commun pour créer l’universalisme qui déjoue les divisions et permet d’aboutir à un projet. Cela demande de s’écouter, d’être tolérant, mais "tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir", dit-elle, et chacun doit forger le sens de sa vie, essayer de changer les choses sans se préoccuper de l’opinion des autres, et… ouvrir des livres.
3° Aurélie Jean, docteure en sciences, entrepreneuse et autrice (3 ouvrages en 2022), spécialiste en modélisation algorithmique, affirme que les datas (données numériques) peuvent être une raison d’espérer un monde meilleur car elles savent mesurer et décrire un phénomène, un détecteur de signaux, anticiper des événements (météos ou autres, éruptions). Les algorithmes présentent certaines nuances mais il faut n’utiliser que leurs bénéfices et protéger notre libre arbitre.
4° Jean de Nadau, auteur-compositeur-interprète béarnais, qui travaille avec son groupe sur la mémoire collective et individuelle, pense que les raisons d’espérer sont aussi à trouver dans le local, la langue, les coutumes qui rassemblent les générations.
5° Marek Halter (87 ans), romancier, défenseur de la paix et fin connaisseur de l’histoire juive, délivre un message d’espoir malgré les horreurs du 7 octobre et des jours suivants. Il insiste sur la force de la parole et de l’espoir. Il faudra parler au Hamas, dit-il, et après les
violences ressurgira l’HUMANITÉ.
6° L’économiste Nicolas Bouzou se veut optimiste et revient sur les raisons de croire en notre pays. IL affirme qu’en matière d’économie et dans un monde fortement tourmenté, il nous reste beaucoup de raisons d’espérer à cause de l’accélération de l’innovation, notamment dans
le numérique, l’intelligence artificielle, la robotique, les biotechnologies. Les technologies font progresser la lutte contre le cancer. Les innovations permettent de lutter de mieux en mieux contre les émissions de gaz à effet de serre en optimisant la consommation d’énergie. L’idéal serait de produire ces technologies plutôt que de nous contenter de les consommer.
La France est le pays du pire et du meilleur, de Pétain et de Gaulle. Il y a toujours des raisons de croire dans le sursaut français
7° Le politologue Bruno Tertrais (dernier ouvrage : La guerre des mondes : le retour de la géopolitique et le choc des empires) pense que l’affrontement ne sera pas forcément armé entre l’Occident et les autocraties car l’interdépendance des économies et la dissuasion
nucléaire limitent ce signe et surtout, nous, Occidentaux, sommes résistants et résilients. Nos faiblesses sont moins importantes que celles de nos adversaires. La Russie et la Chine sont en très mauvaise posture sur le plan démographique face à l’Inde ou aux États-Unis. Ne sousestimons pas la capacité d’innovation et d’adaptation des démocraties. Rappelons-nous que, durant la crise sanitaire, les pays qui ont développé les meilleurs vaccins sont occidentaux. De plus, sur le plan militaire, l’Occident a la capacité de résister à un affrontement avec les pays autocratiques.
8° Le journaliste Jean Bimbaum, directeur du Monde des livres, écrit dans son dernier ouvrage : Seuls les enfants changent le monde (2023 au Seuil) : « qui prétend rallumer l’étincelle de l’espérance ferait bien de veiller sur l’enfance ». Il est important d’affirmer ceci à une époque où les jeunes refusent d’être parents.
9° Alain Dupuy, professeur en hydrobiologie à Bordeaux, est confiant en l’avenir en ce qui concerne les problèmes de l’eau car il pense que les contraintes locales dicteront des éléments d’adaptation.
10° Le cinéaste Costa-Gavras a bon espoir dans le cinéma car il parle de la société, des hommes, des femmes, de leurs relations de toutes sortes et s’enrichit de nouvelles réalisations apportant de nouveaux points de vue. Selon lui, le cinéma joue un rôle important pour pacifier la
société.
Conclusion : Laissons conclure l’organisateur de ces journées, François Bayrou, maire de Pau.
« Il est important de rester optimiste au cœur des tourmentes comme celles que nous traversons et d’être déterminé selon l’expression de Jean Monnet. Pour cela il importe de se dépasser, de se révolter contre la fatalité et des forces apparemment incontrôlables.
Il ne s’agit pas de se bercer d’illusions mais de se montrer volontaire en conservant ses rêves. Il faut avancer, ne pas renoncer à vivre, ne pas démissionner, continuer à avoir des enfants, à les faire grandir et à les éduquer.
Malraux a écrit L’Espoir et Léo Ferré l’a défini comme « un habit de lumière à l’ombre d’un chagrin ». Tous deux nous incitent à regarder la lumière au bout du tunnel et à travailler à sontriomphe. Ne craignons pas l’avènement de l’intelligence artificielle ; il faut la voir comme un
motif d’espoir car elle jouera un grand rôle en médecine dans les dix ans à venir. Par ailleurs, la maîtrise d’énergies plus abondantes et plus propres va changer le monde. Admirons également les auteurs et ceux qui écrivent avec de la lumière en mouvement comme les cinéastes Claude Lelouch, reçu ici l’an dernier, Costa-Gavras aujourd’hui.
Oui, je crois pouvoir dire que nous avons encore des raisons d’espérer.
Andrée CHABROL-VACQUIER
La poésie, c’est mon étoile ! (À vous lecteurs)
Créer de la beauté, malgré les vents contraires,
HIVER 2024
PRÉCISIONS (en écho au précédent Trait d’Union concernant la littérature russe) :
Après le succès du Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, penchez-vous, à un an d’intervalle sur l’ouvrage Tsunami (Albin Michel, 2023) de Marc Dugain qui se met dans la peau du prochain président de la République en employant le pronom personnel « je ».Les deux auteurs se sont rencontrés l’espace d’une matinée et ont convenu que la fiction, mieux que l’essai, disait la réalité du monde d’aujourd’hui et des arcanes du pouvoir.
Et si vous voulez remonter un peu dans le temps, lisez La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch paru en 2013 (prix Médicis) et vous verrez ce qu’il reste de l’Homo Soviéticus après 70 ans de marxisme léninisme et des millions de morts. Tout cela nous concerne chaque jour davantage, a été, devient et deviendra réalité. Le passé construit un futur de plus en plus inquiétant.
L’écriture est le miroir de l’âme
Quand on parle d’écriture ce n’est pas d’écriture manuscrite mais d’écriture au sens large englobant style, ton, vocabulaire, et dressant le portrait intérieur de l’écrivain. L’abbé JeanHippolyte MICHON, ordonné prêtre à Angoulême en 1830, l’avait bien compris puisqu’il créa en 1871, avec Émilie de Vars, la société parisienne de graphologie, ancêtre de l’actuelle Société Française de Graphologie (SFDG). Il n’était pas un critique littéraire, mais il pensait que notre être se dévoile dans les inflexions que nous imposons à nos lettres quand nous les traçons à la pointe d’un stylo, dans la façon dont nous les lions, les espaçons, les orientons. Ainsi la graphologie permet de comprendre la personnalité d’un écrivain, l’évolution de son travail, la paternité d’un ouvrage, et bien d’autres notions.
Quelle est donc la petite histoire de cette science ?
Souvent décriée, souvent encensée, elle a connu des hauts et des bas depuis son invention au XIXe siècle. Sa plus ancienne trace remonterait à CONFUCIUS (551-479 av. J.-C.) qui disait : « Ne faites pas confiance à un homme dont l’écriture oscille comme un roseau sous le vent. » Toutefois les spécialistes se sont plus tard accordés à voir en Camille BALDI (1550- 1637), médecin et philosophe de Bologne, celui qui a ouvert la voie avec son traité : Comment par une lettre missive se connaissent la nature et la qualité du scripteur . D’après l’abbé MICHON qui a créé le mot en 1872, l’ancêtre de la graphologie serait plutôt le Zurichois Yohann Kaspar LAVATER (1741-1801), théologien et savant qui inspira l’abbé belge HOCQUART pour son Art de juger un caractère des hommes par leur écriture (1812).
Suivirent les travaux du philosophe allemand Ludwig KLAGES (1872-1956) qui travaillait sur la bipolarité. En France, n’oublions pas de citer Jules CRÉPIEUX-JANIN (1859-1940) qui publia plusieurs traités et remit en cause certains principes de l’abbé MICHON. Avec lui la graphologie n’est peut être pas devenue une discipline scientifique mais elle a acquis un cadre théorique, structuré. Depuis elle s’est diversifiée dans ses méthodes avec le développement des interprétations et du symbolisme des signes et dans ses pratiques, notamment pour le recrutement des entreprises
Que regarde un graphologue ?
Il observe tout, analyse, ne laisse rien au hasard, en s’appuyant sur plusieurs critères :
a) La dimension de l’écriture exprime l’extraversion, l’intraversion, voire la timidité.
b) La direction de l’écriture : les mouvements vers la droite caractérisent l’avancée vers
l’avenir, ceux vers la gauche la relation avec le passé, la mère, le besoin de sécurité.
c) L’utilisation de la page : le rapport entre l’écrit et l’espace laissé en blanc renseigne sur la relation aux autres, la distance entre les lignes sur le besoin d’indépendance.
d) La qualité du trait : la pression sur la page renseigne sur l’énergie, l’affirmation de soi.
e) La forme des lettres : elle fait ressortir une prédominance affective (si elle est ronde) ou intellectuelle. Parfois de petites pointes révèlent agressivité ou sens critique.
f) La liaison entre les lettres montre la continuité dans la pensée et l’action.
g) Le rythme de l’écriture traduit calme ou vivacité, nonchalance, rapidité, exaltation.
h) Les ponctuations : accents, points sur les i , virgules, renseignent sur le mental, l’impatience, le stress, les inhibitions.
i) La signature : élément fondamental exprimant autant l’image de soi que l’investissement social.
Étudions maintenant l’écriture de grandes plumes
1°) BAUDELAIRE : ses manuscrits de « L’Albatros » disent beaucoup et révèlent :
a) ses souffrances et faiblesses : le graphisme varie dans la forme, la taille des lettres, les espacements qui dénotent une personnalité changeante, instable, impulsive.
La marge de droite qui représente le futur est envahie par des grands gestes en forme de crochets captateurs.. Avidité, ardeur, espérance sont démesurées mais contrariées par la mollesse de certaines courbes et par des barres de « t » immenses. La ligne est irrégulière comme la vie du poète souvent bohême.
b) La vision de l’homme qu’il deviendra
< Le trait est épais, traduit une forte sensualité.
< les relâchements tout au long du texte montrent un fond de lymphatisme.
D’ailleurs cette lettre a été écrite quand l’auteur, à 27 ans, souffrait peut-être de la syphilis.
< Les accents parfois en forme de cloche (même) font penser à de l’accablement.
< Les mots chutent souvent sous la ligne pour revenir au bon niveau (ligne 3 « une » « heure » « où » ) signe d’une grande souffrance.
< On sent un élan vers la droite qui oriente vers le futur où Baudelaire deviendra célèbre, ne serait-ce que pour avoir traduit Edgar POE.
2°) Arthur RIMBAUD :
L’écriture est fine, légère, vive, signe d’une sensibilité épidermique. On sent :
< de la douceur avec des courbes sur la ligne.
< un sens critique aiguisé avec des tracés pointus, des prolongements agressifs à la fin des mots.
< Le côtoiement de la subtilité et de la violence sur un mode fantasque.
< Une recherche de la lucidité par l’espacement entre les lignes, mais des paradoxes à l’image d’une personnalité qui se cherche, veut être reconnue mais rongée par le tourment (voir les barres des « t »).
< Le déchaînement de la signature, avec un tracé ferme et noirci sous le nom qui dénote une sexualité tourmentée.
3°) LAMARTINE :
Son écriture évolue au fil des grands évènements de sa vie, où il a été poète, écrivain, orateur, homme politique.
À l’âge de 33 ans, elle progresse régulièrement vers la droite, signe d’un tempérament actif, déterminé, dans la poursuite d’un objectif. Le graphisme est équilibré, malgré des noircissements indiquant des états d’âme.
Vers 42 ans, on remarque des distorsions, des majuscules amplifiées. C’est le moment où il est élu député et mène de pair la création poétique.
À 58 ans il fait partie du gouvernement provisoire en qualité de Ministre des Affaires étrangères. Le graphisme a perdu son équilibre, sa pondération. L’exagération est à son comble, avec des discordances, des gonflements excessifs de crochets. L’enthousiasme et la subjectivité l’emportent sur la personnalité. Certaines lettres, très ouvertes sur le haut, sont révélatrices d’idéalisme, mais aussi d’orgueil.
À 60 ans l’écriture de Lamartine s’est totalement modifiée. Déchu du pouvoir, abandonné, l’homme est dénigré par les politiciens, critiqué par les écrivains contemporains comme Flaubert qui l’insulte, Stendhal qui le trouve puéril. Après une vie fastueuse il est criblé de dettes.
Son écriture perd alors sa douceur, sa souplesse et devient agressive, anguleuse. Les débuts des lignes commencent par tomber, puis se redressent fortement, ce qui montre que Lamartine est abattu mais redouble d’ardeur pour faire face à l’échec. L’amertume se voit, le
politicien poète est meurtri, déprimé, mais lutte avec détermination.
La signature complète souvent l’écriture et a besoin d’être décryptée, car elle cache toujours quelque chose. À la fois marque de notre moi profond et acte social, elle nous représente autant qu’elle nous trahit.
Essayons d’analyser la signature de trois immenses écrivains.
1°) BARBEY d’AUREVILLY :
On remarque :
< la clarté relative du nom ,
< la noirceur du paraphe,
< l’existence de deux univers : le haut et le bas ; la lumière et le monde souterrain,
< le contraste entre la finesse du nom et la violence du mouvement sous la ligne : deux boucles traçant un « huit » font le lien entre ces deux extrêmes. Un autre « huit » se niche dans le « A » qui symbolise l’amour de la vie et se dresse vers le haut, marquant une quête vers l’idéal ou le divin. Le « huit » est un tracé dans lequel on tourne en rond. Pour celui qui fut surnommé « le romancier satanique » il existe autant d’angoisse dans la quête du divin que dans l’expérience de la sexualité.
Écrivain sulfureux, BARBEY d’AUREVILLY a fait scandale avec Un prêtre marié ainsi qu’avec Les Diaboliques.
2°) Jean GIONO :
Contrairement au prénom le patronyme est souligné pour mettre en relief la célébrité, ce qui indique une séparation entre le passé lié à l’enfance et la vie sociale. Le prénom est plus gros que le nom pour donner de l’importance à la vie personnelle. Le trait épais révèle une grande sensualité ; l’équilibre entre la rondeur et les formes pointues montre une forte demande affective, de la générosité assortie d’une certaine autorité.
3°) Ernest HEMINGWAY :
La signature descendante est signe d’un profond découragement, d’un certain terrain dépressif. La noirceur et les incertitudes du trait signalent de la fébrilité, de la nervosité, de l’angoisse. Le nom est écrit puis transpercé par un trait, ce qui révèle un tempérament destructeur. Hemingway s’est d’ailleurs suicidé.
CONCLUSION :
Le style, le ton, le vocabulaire de l’écriture de chacun d’entre nous dressent notre portrait intérieur, ce qui explique le succès croissant de la graphologie et son utilisation dans les entretiens d’embauche.
Impossible de nous cacher. Nous sommes ce que nous sommes et il est passionnant de se pencher sur le sujet pour mieux nous connaître et définir notre parcours idéal. L’écriture est bien le miroir de l’âme.
Andrée CHABROL-VACQUIER
(d’après un dossier de LIRE magazine)