Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

Ecriture miroir de l'âme

REMARQUE (en écho au précédent Trait d’Union concernant la littérature russe) :

         Après le succès du Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, penchez-vous, à un an d’intervalle sur l’ouvrage Tsunami (Albin Michel, 2023) de Marc Dugain qui se met dans la peau du prochain président de la République en employant le pronom personnel « je ».Les deux auteurs se sont rencontrés l’espace d’une matinée et ont convenu que la fiction, mieux que l’essai, disait la réalité du monde d’aujourd’hui et des arcanes du pouvoir.

Et si vous voulez remonter un peu dans le temps, lisez La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch paru en 2013 (prix Médicis) et vous verrez ce qu’il reste l’Homo Soviéticus après 70 ans de marxisme léninisme et des millions de morts. Tout cela nous concerne chaque jour davantage, a été, devient et deviendra réalité. Le passé construit un futur de plus en plus inquiétant.

L’écriture est le miroir de l’âme

           Quand on parle d’écriture ce n’est pas d’écriture manuscrite mais d’écriture au sens large englobant style, ton, vocabulaire, et dressant le portrait intérieur de l’écrivain. L’abbé Jean-Hippolyte MICHON, ordonné prêtre à Angoulême en 1830, l’avait bien compris puisqu’il créa en 1871, avec Émilie de Vars, la société parisienne de graphologie, ancêtre de l’actuelle Société Française de Graphologie (SFDG). Il n’était pas un critique littéraire, mais il pensait que notre être se dévoile dans les inflexions que nous imposons à nos lettres quand nous les traçons à la pointe d’un stylo, dans la façon dont nous les lions, les espaçons, les orientons. Ainsi la graphologie permet de comprendre la personnalité d’un écrivain, l’évolution de son travail, la paternité d’un ouvrage, et bien d’autres notions.

Quelle est donc la petite histoire de cette science ?

           Souvent décriée, souvent encensée, elle a connu des hauts et des bas depuis son invention au XIXe siècle. Sa plus ancienne trace remonterait à CONFUCIUS (551-479 av. J.-C.)  qui disait : « Ne faites pas confiance à un homme dont l’écriture oscille comme un roseau sous le vent. »

 Toutefois les spécialistes se sont plus tard accordés à voir en Camille BALDI (1550-1637), médecin et philosophe de Bologne, celui qui a ouvert la voie avec son traité : Comment par une lettre missive se connaissent la nature et la qualité du scripteur . D’après l’abbé MICHON qui a créé le mot en 1872, l’ancêtre de la graphologie serait plutôt le Zurichois Yohann Kaspar LAVATER (1741-1801), théologien et savant qui inspira l’abbé belge HOCQUART pour son Art de juger un caractère des hommes  par leur écriture (1812).

Suivirent les travaux du philosophe allemand Ludwig KLAGES (1872-1956) qui travaillait sur la bipolarité. En France, n’oublions pas de citer Jules CRÉPIEUX-JANIN (1859-1940) qui publia plusieurs traités  et remit en cause certains principes de l’abbé MICHON. Avec lui la graphologie n’est peut être pas devenu une discipline scientifique mais elle a acquis un cadre théorique, structuré. Depuis elle s’est diversifiée dans ses méthodes avec le développement  des interprétations et du symbolisme des signes et dans ses pratiques, notamment pour le recrutement des entreprises

 Que regarde un graphologue ?

           Il observe tout, analyse, ne laisse rien au hasard, en s’appuyant sur plusieurs critères :

  1. La dimension de l’écriture exprime l’extraversion, l’intraversion, voire la timidité.
  2. La direction de l’écriture : les mouvements vers la droite caractérisent l’avancée vers l’avenir, ceux vers la gauche la relation avec le passé, la mère, le besoin de sécurité.
  3. L’utilisation de la page : le rapport entre l’écrit et l’espace laissé en blanc renseigne sur la relation aux autres, la distance entre les lignes sur le besoin d’indépendance.
  4. La qualité du trait : la pression sur la page renseigne sur l’énergie, l’affirmation de soi.
  5. La forme des lettres : elle fait ressortir une prédominance affective (si elle est ronde) ou intellectuelle. Parfois de petites pointes révèlent agressivité ou sens critique.
  6. La liaison entre les lettres montre la continuité dans la pensée et l’action.
  7. Le rythme de l’écriture traduit calme ou vivacité, nonchalance, rapidité, exaltation.
  8. Les ponctuations : accents, points sur les i , virgules, renseignent sur le mental, l’impatience, le stress, les inhibitions.
  9. La signature : élément fondamental exprimant autant l’image de soi que l’investissement social.

Étudions maintenant l’écriture de grandes plumes

           1°) BAUDELAIRE : ses manuscrits de « L’Albatros » disent beaucoup et révèlent :

a) ses souffrances et faiblesses: le graphisme varie dans la forme, la taille des lettres, les espacements qui révèlent une personnalité changeante, instable, impulsive

La marge de droite qui représente le futur est envahie par des grands gestes en forme de crochets captateurs.. Avidité, ardeur, espérance sont démesurées mais contrariées par la mollesse de certaines courbes et par des barres de « t » immenses. La ligne est irrégulière comme la vie du poète souvent bohême.

  1. La vision de l’homme qu’il deviendra

< Le trait est épais, traduit une forte sensualité.

< les relâchements tout au long du texte montrent un fond de lymphatisme. D’ailleurs cette lettre a été écrite quand l’auteur, à 27 ans, souffrait peut-être de la syphilis.

< Les accents parfois en forme cloche (même) font penser à de l’accablement.

< Les mots chutent souvent sous la ligne pour revenir au bon niveau

   (ligne 3 « une »  « heure » « où » )  signe d’une grande souffrance.

< On sent un élan vers la droite qui oriente vers le futur où Baudelaire deviendra   célèbre, ne serait-ce que pour avoir traduit Edgar POE.

2°) Arthur RIMBAUD :

L’écriture est fine, légère, vive, signe d’une sensibilité épidermique. On sent :

<  de la douceur avec des courbes sur la ligne.

< un sens critique aiguisé avec des tracés pointus, des prolongements agressifs à la fin     des mots.

< Le côtoiement de la subtilité et de la violence sur un mode fantasque.

< Une recherche de la lucidité par l’espacement entre les lignes, mais des paradoxes à l’image d’une  personnalité qui se cherche, peut être reconnue mais rongée par le tourment (voir les barres des « t »).

< Le déchaînement de la signature, avec un tracé ferme et noirci sous le nom qui dénote une sexualité tourmentée.

3°) LAMARTINE :

Son écriture évolue au fil des grands évènements de sa vie, où il a été poète, écrivain, orateur, homme politique.

À l’âge de 33 ans, elle progresse régulièrement vers la droite, signe d’un tempérament actif, déterminé, dans la poursuite d’un objectif. Le graphisme est équilibré, malgré des noircissements indiquant des états d’âme.

Vers 42 ans, on remarque des distorsions, des majuscules amplifiées. C’est le moment où il est élu député et mène de pair la création poétique.

À 58 ans il fait partie du gouvernement provisoire en qualité de Ministre des Affaires étrangères. Le graphisme a perdu son équilibre, sa pondération. L’exagération est à son comble, avec des discordances, des gonflements excessifs de crochets. L’enthousiasme et la subjectivité l’emportent sur la personnalité. Certaines lettres, très ouvertes sur le haut, sont révélatrices  d’idéalisme, mais aussi d’orgueil. 

À 60 ans l’écriture de Lamartine s’est totalement modifiée. Déchu du pouvoir, abandonné, l’homme est dénigré par les politiciens, critiqué par les écrivains contemporains, comme Flaubert qui l’insulte, Stendhal qui le trouve puéril. Après une vie fastueuse il est criblé de dettes.

Son écriture perd alors sa douceur, sa souplesse et devient agressive, anguleuse. Les débuts des lignes commencent par tomber, puis se redressent fortement, ce qui montre que Lamartine est abattu mais redouble d’ardeur pour faire face à l’échec. L’amertume se voit, le politicien poète est meurtri, déprimé, mais lutte avec détermination.

La signature complète souvent l’écriture et a besoin d’être décryptée, car elle cache toujours quelque chose. À la fois marque de notre moi profond et acte social, elle nous représente autant qu’elle nous trahit.

Essayons d’analyser  la signature de trois immenses écrivains.

1°) BARBEY d’AUREVILLY :

On remarque :

          < la clarté relative du nom ,

< la noirceur du paraphe,

< l’existence de deux univers : le haut et le bas ; la lumière et le monde souterrain,

< le contraste entre la finesse du nom et la violence du mouvement sous la ligne : deux boucles traçant un « huit » font le lien entre ces deux extrêmes. Un autre « huit » se niche dans le « A » qui symbolise l’amour de la vie et se dresse vers le haut, marquant une quête vers l’idéal ou le divin. Le « huit » est un tracé dans lequel on tourne en rond.  Pour celui qui fut surnommé « le romancier satanique »  il existe autant d’angoisse  dans la quête du divin que dans l’expérience de la sexualité.

Écrivain sulfureux, BARBEY d’AUREVILLY a fait scandale avec Un prêtre marié ainsi qu’avec Les Diaboliques.

2°) Jean GIONO :

          Contrairement au prénom le patronyme est souligné pour mettre en relief la célébrité, ce qui indique une séparation entre le passé lié à l’enfance et la vie sociale. Le prénom est plus gros que le nom pour donner de l’importance à la vie personnelle. Le trait épais révèle une grande sensualité ; l’équilibre entre la rondeur et les formes pointues montre une forte demande affective, de la générosité assortie d’une certaine autorité.

3°) Ernest HEMINGWAY :

          La signature descendante est signe d’un profond découragement, d’un certain terrain dépressif. La noirceur et les incertitudes du trait signalent de la fébrilité, de la nervosité, de l’angoisse. Le nom est écrit puis transpercé par un trait, ce qui révèle un tempérament destructeur. Hemingway s’est d’ailleurs suicidé.

CONCLUSION :

          Le style, le ton, le vocabulaire de l’écriture de chacun d’entre nous dressent notre portrait intérieur, ce qui explique le succès croissant de la graphologie et son utilisation dans les entretiens d’embauche.

Impossible de nous cacher. Nous sommes ce que nous sommes et il est passionnant de se pencher sur le sujet pour mieux nous connaître et définir notre parcours idéal. L’écriture est bien le miroir de l’âme.

Andrée CHABROL-VACQUIER

 

La littérature russe

La littérature russe

 

          Il n’existe en Russie aucun document écrit avant le XIe siècle. Le codex de Novgorod, premier document littéraire est constitué de trois tablettes en bois de bouleau. Œuvre du diacre Grégoire pour son supérieur en 1056 -1057, il a été exhumé le 13 janvier 2000 à Novgorod.

Hormis des récits populaires, la Russie ne connaît aucun texte non religieux avant le XVIIe siècle où naissent la poésie et le théâtre. De plus, il n’existe pas d’université avant celle de Mikhaïl Lomonossov, créée au XVIIIe.

Surgie au XIXe, la littérature russe s’est vite imposée avec Tolstoï et Dostoïevski, puis elle a connu une brisure quand l’élan de l’âge d’argent porté par des auteurs comme Maïakovski ou Akhmatova s’est fracassé sur le mur de la censure soviétique, avant de renaître dans la clandestinité sous la prose agréée par le régime et de s’illustrer de nos jours avec de nouveaux auteurs.

 

L’âge d’or, source féconde du roman russe

          Jusqu’au début du XIXe siècle, la littérature russe est didactique, essentiellement transmise par un clergé soucieux de fournir à ses ouailles de pieux modèles de vie chrétienne. Elle est rédigée en slave, langue d’église. De son côté, l’aristocratie trouvait ridicule l’idée d’une

littérature russophone car, pour elle-même, elle privilégiait le français.

          C’est le poète et romancier Alexandre Pouchkine (1799-1830) qui impose avec panache une littérature russophone dans les années 1820, puis Tolstoï qui, en 1869, lui fera atteindre des sommets avec Guerre et Paix. Se manifestent également  Nicolas Gogol (1809-1852), Dostoïevski (1821-1881) avec Les frères Karamazov en 1880.

Pouchkine n’est pas qu’un précurseur. Il a  contribué à hisser le roman russe au plus haut niveau et avec ses successeurs, de Tourgueniev à Tchekhov et à Maxime Gorki, il a fait en sorte que la littérature russe devance ce qu’elle imitait.

 

L’âge d’argent est le dernier élan avant la révolution manquée de 1905.

          Commencé en 1890, il se termine entre la révolution de 1917 et les premiers temps de la NEP (Nouvelle Politique Economique lancée par Lénine à partir de 1921, qui introduit une relative libération économique pour redynamiser le pays affaibli par la Première Guerre mondiale, une révolution, une guerre civile). Écriture, littérature, théâtre, arts de toutes sortes fleurissent et beaucoup de créateurs ont un rayonnement international comme Chagall, Tchekhov, Fabergé, Kandinski, Maïakovski, Pasternak, Stravinski, Alexandre Blok (1880-1921), le plus grand poète symboliste de la période.

 

Les années de fer

          Poètes et romanciers de l’âge d’argent ont souvent accompagné la révolution avant d’en être les victimes.

  • Quatre sont emblématiques de la période car, par leur œuvre et leur destin, ils ont marqué à jamais la littérature mondiale. Ce sont :

Marina Tsvetaeva, poète que l’on retrouva pendue le 31 août 1941 après une vie marquée par 25 ans d’exil, des tragédies et la misère ;

Isaac Babel, nouvelliste, qui fut exécuté d’une balle dans la nuque (1840) ;

Anna Akhmatova, poète, persécutée puis réhabilitée par les Soviétiques. Parmi les poètes de sa génération, elle fut la seule à avoir survécu aux années de fer.

Mikhaïl Boulgakov, rongé par la maladie, qui vit toutes ses pièces retirées de l’affiche puis du répertoire. Staline lui attribua une place subalterne lui permettant de survivre et de travailler à son chef- d’œuvre Le Maître et Marguerite, plusieurs fois réécrit entre 1928 et 1940, sans espoir de le voir édité.

 

  • D’autres sont à citer comme Pasternak (auteur du Docteur Jivago), Maïakovski, Zamiatine, mort en exil, Mandelstan décédé dans un camp également.

 

Place de l’écrivain officiel

Il connaît grandeur et décadence ; C’est le cas de :

Mickaïl Cholokhov. Il a écrit Le Don paisible, tableau de la vie des Cosaques, grande fresque épique comparable à Guerre et Paix, couronnée en 1941 par le prix Staline qui fit de lui le modèle de l’écrivain socialiste. À sa mort, en 1984, on l’accusa de ne pas être l’auteur de ce livre sous prétexte que le réalisme socialiste ne pouvait pas produire un chef-d’œuvre.

Vassili Grossman obtient d’abord les faveurs de l’Union soviétique, puis il est dénoncé comme ennemi du peuple dans la Pravda ; Son œuvre capitale, Vie et Destin, achevée en 1960, est un acte d’accusation virulent contre la terreur bolchevique et le génocide de peuples entiers.  L’auteur y établit  un parallèle entre nazisme et stalinisme. Banni et misérable, il mourut en 1964 sans savoir que grâce au physicien Andréi Sakharov son manuscrit fut sauvé.

 

Les peintres du Goulag

De nombreux écrivains ont connu l’horreur du monde concentrationnaire soviétique. Certains ont survécu et leurs œuvres témoignent.

Soljenitsyne, né en 1918, est interné durant 8 ans dans des camps de concentration pour avoir critiqué Staline dans une lettre à un ami. Libéré en 1953, il est assigné à résidence dans un village du Kazakhstan, en Asie centrale, où il enseigne les mathématiques et la physique pour gagner sa vie ; En 1962, un tabou semble brisé puisque, avec la permission de Khrouchtchev, paraît en 1962 dans une revue Une journée d’Ivan Denissovitch qui décrit le monde concentrationnaire. Mais en 1964, avec la chute de Khrouchtchev, s’opère un virage total rétablissant censure et clandestinité. Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux sont d’abord diffusés en polycopies, ensuite publiés en Occident et rapidement traduits en de nombreuses langues. Soljenitsyne, alors mondialement connu, obtient le prix de littérature en 1970.

Chalamov, successivement poursuivi par le malheur, produit des œuvres d’orfèvre. En 1929, âgé de 22 ans, il est condamné à 3 ans de travaux forcés dans l’Oural pour diffusion d’un document dans lequel Lénine critique le choix de Staline comme successeur. En 1937, à nouveau arrêté, il est envoyé en Sibérie, dans la Kolyma où les bagnards meurent d’épuisement et de faim dans les mines d’or par des températures de - 40°. Libéré en 1951, il y est assigné à résidence jusqu’à sa réhabilitation en 1956. Ses premiers livres paraissent à l’étranger. Malade, aveugle et sourd, il meurt en 1982 dans un hôpital psychiatrique. Ses Récits de la Kolyma, rédigés à partir de 1954, sont un témoignage irremplaçable sur les camps staliniens.

C’est seulement en 1974 que l’intérêt public pour les bagnes soviétiques devient mondial avec L’Archipel du Goulag de Solietnisyne.

Les plumes contemporaines

Un peu plus de trente ans  se sont écoulés depuis la chute de l’URSS, le 25 décembre

  1. Certaines œuvres sont incontournables comme celles de :
  • Svetlana Alexievitch qui donne des témoignages récompensés par le prix Nobel 2015. Citons La Guerre n’a pas un visage de femme (1985) consacré aux femmes de l’Armée Rouge qui ont combattu les nazis et ont été traitées de "femmes à soldats" une fois revenues à la vie civile ; La Supplication, chronique du monde après l’apocalypse de Tchernobyl (1993) ;
  • Ludmila Oulitskaïa: Sonietchka (1992) est son premier roman avec en toile de fond la Russie entre les années 1920 et la fin de la pérestroïka. Il est question de misère, de collectivisme forcé, d’amours et de trahisons ;
  • Dmitry Glukhovsky avec Métro 2033 en 2005, puis Métro 2034, Métro 2035. Ces œuvres ont été traduites en vingt langues dont le français et ont inspiré un jeu vidéo.
  • Andréi Makine avec qui nous avions pu nous entretenir à la librairie montalbanaise « Le Scribe » il y a quelques années. Né en 1957, francophone grâce à sa grand-mère, il est naturalisé français en 1996, l’année après avoir obtenu le Goncourt, le Goncourt des lycéens et le Médicis avec Le Testament français. Il est élu en 2016 à l’Académie française et vient de publier L’Ancien calendrier d’un amour aux éditions Grasset.

De toute façon, la littérature russe n’est pas morte. En témoignent sept ouvrages contemporains qu’il ne faut pas laisser passer comme :

  • Le cas du docteur Koukotski (2001) de Ludmila Oulitskaïa ;
  • Le Péché du Zakhar Prilepine (2007) ;
  • Journée d’un Opritchnik (2006) de Vladimir Sorokine ;
  • Le cheveu de Vénus (2005) de Mickhaïl Chickhine ;
  • Laurus (2012) d’Evgueni Vedolazkine ;
  • Zouleïkha ouvre les yeux (2015) de Gouzel Iaklina.

 

Conclusion

          On peut ne pas être d’accord avec Vladimir Poutine et ses idées hégémoniques mais se plaire à relire la littérature russe qui a connu tellement de vicissitudes. Profitons de la narration joyeuse de Pouchkine, de la démesure de Tolstoï,  des tourments des personnages dostoïeskiens, de la fantaisie de Gogol ou de Boulgakov dans Le Maître et Marguerite.  Ces auteurs n’ont pas d’équivalents chez nous. Se priver de les lire pour des raisons extra-littéraires reviendrait à nous sanctionner nous-mêmes. Ne boudons pas non plus les auteurs contemporains qui sont souvent de qualité.

Remarque : L’ironie de l’Histoire finit toujours par  nous rattraper. Ainsi il est troublant de se dire que l’un des ouvrages les plus remarqués de l’année s’intitule Guerre et qu’il est une redécouverte de Louis-Ferdinand Céline. Ce titre vient en écho à l’actualité et au conflit entre l’Ukraine et la Russie. Le succès du Mage du Kremlin  de Giuliano da Empoli (ancien conseiller du président italien Matteo Renzi, éditorialiste et essayiste, professeur à Sciences-Po Paris) tout juste auréolé du Grand prix du roman de l’Académie française rappelle la capacité de la littérature à nous faire comprendre ces événements.

Andrée Chabrol-Vacquier

CELINE

CÉLINE, phénomène unique dans la littérature contemporaine

 

   On n’en finit jamais de raconter Louis-Ferdinand Destouches dit Céline (1894-1961) ; aussi une nouvelle étude s’impose après celle du n° 60. Céline a été militaire engagé volontaire en 1912 et blessé en 1914, puis médecin, romancier et pamphlétaire, condamné pour collaboration en 1950. C’est un homme multiple.

 

Son œuvre

   Céline n’appartient pas à un courant littéraire particulier mais il a révolutionné la littérature avec deux chefs-d’œuvre : Voyage au bout de la nuit (1931), Mort à crédit (1936). Ont suivi des pamphlets où ressort son antisémitisme : Mea culpa (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L’école des cadavres (1938), Les beaux draps (1941). Céline renoue ensuite avec son écriture romanesque en publiant Guignol’ Band (1944), Casse-Pipe (1949), Féérie pour une autre fois (1952), Normance (1952), D’un château à l’autre (1957) Nord (1960), Le pont de Londres (1964), Rigodon (1969). Et maintenant en 2022 paraissent deux romans inédits correspondant aux 1200 feuillets manuscrits abandonnés par Céline fuyant Paris pour le Danemark avant l’arrivée des Alliés (voir étude du n° 60).

Guerre (mai 2022) : écrit en 1934, il précédait de peu la rédaction de pamphlets antisémites. Céline nous renvoie constamment à la barbarie collective, toujours d’actualité. À l’Est, c’est la guerre ! Ce roman a moins de 130 pages : c’est certainement un premier jet que l’auteur a peut-être abandonné.

Londres, le second roman (près de 500 pages) est certainement la suite de Guerre. Il nous entraîne parmi les voyous français, expatriés dans la capitale britannique pendant la Première Guerre mondiale. On y entend "la petite musique" de Céline à l’état brut, l’auteur pensant retravailler  son texte qui ressemble à un roman indépendant.

3° De futures publications sont attendues, peut-être celles des pamphlets. Il reste 9 ans pour les rééditer avant qu’elles ne passent dans le domaine public.

 

          Son style

   Nous considérons facilement Céline comme un collabo et nous oublions le styliste génial qui a réinventé l’art d’écrire en français. Si nous le lisons attentivement, nous ne pouvons le réduire ni au nazisme, ni au nihilisme, ni à l’anarchisme. Il est un phénomène unique dans la littérature et son plus proche ancêtre s’appelle Rabelais. Il parle à l’oreille du lecteur grâce à un style, une prose, un langage indissociables des idées. Dans notre Panthéon littéraire il est considéré avec Proust comme le plus grand écrivains du XXe siècle et son Voyage au bout de la nuit est étudié au lycée. Son style est unique car il maîtrise parfaitement le français au point de tordre notre langue, d’en faire une sorte de poème, de nous donner l’impression qu’on "nous parle à l’oreille" pendant notre lecture. Il puise ses sujets dans la vie matérielle et cette matérialité il la transpose aux mots qu’il emploie dans lesquels il plonge ses mains nues. Pour lui, la vie est une "pâte" à travailler. Cette vision de l’écriture est liée au fait qu’il est médecin (sa thèse est son premier grand texte littéraire), qu’il a côtoyé la maladie et la mort et, en outre, a vécu la boucherie de la Grande Guerre.

   Pour restituer l’émotion de la langue parlée, il utilise des points de suspension, de l’argot, un langage non populaire mais à sonorité populaire. Par les mots il veut se venger de ses lecteurs à qui il reproche un goût pour l’inesthétique et des auteurs médiocres, se venger de l’échec commercial de Mort à crédit et de sa non-obtention du prix Goncourt. Ce besoin de vengeance le conduit à pratiquer une forme d’auto-caricature comme dans Féérie pour une autre fois, Normance, D’un château à l’autre qui sont presque illisibles parce que décousus et pleins d’onomatopées.
   Incontestablement Céline est incontournable à cause de son style. Il veut utiliser le langage de la vérité quoi qu’il en soit. Le dessinateur Tardi l’a bien compris : il ne donne pas des visages aux personnages mais des trognes. Notre compatriote-graveur Marc Dautry a aussi illustré le Voyage au bout de la nuit (voir ci-après). Comme naguère les Indiens Jivaros, Céline aimait à réduire les têtes pour laisser apparaître la grimace du monstre sur le visage humain. Pour cela, il utilise des procédés bien à lui. Il dénonce les mensonges de l’idéal, le hiatus entre la réalité atroce des combats et la « poésie héroïque » dont on emplit les oreilles des soldats pour les conduire à la bravoure. Il préfère la lâcheté parce qu’elle est réflexe de préservation : « Il n’y a que la vie qui compte », dit-il. « Vivent les fous et les lâches ! » Il dénonce les « beaux discours » qu’ils s’appliquent à la mort ou à la postérité. Ce sont pour lui des « discours aux asticots », aux rapports humains qui se réduisent à un dialogue de sourds. Est-il donc un pur matérialiste ne reconnaissant en l’homme qu’un tas de "viande" (ce mot étant souvent employé dans Voyage au bout de la nuit). ? Pas exactement, certains aphorismes céliniens disant la nature duelle, métaphysique et matérialiste de l’homme. En réalité, l’écrivain se moque de nos prétentions à l’absolu.

 

                                                                                                     

Voyage au bout de la nuit par Tardi                                           Bardamu par Dautry                                                Céline par Dautry

 

Il existe d’autres procédés céliniens :

  • la comparaison entre l’homme et l’animal, souvent au détriment du premier. Ainsi, quand Bardamu revient de la guerre, il dit : «Elle était heureuse de me retrouver, ma mère, et pleurnichait comme une chienne […] Elle demeurait inférieure à la chienne parce qu’elle croyait aux mots qu’on lui disait pour  m’enlever. La chienne au moins ne croit que ce qu’elle sent. »
  • l’habitude d’épargner les femmes généreuses de leurs charmes qu’il décrit en termes culinaires ou sportifs, donc toujours rattachés à la "viande". Ainsi parle-t-il de Molly comme d’un « festin de désirs ». Pour lui le don que font ces femmes aux hommes est réel puisqu’il enchante leurs sens.
  • l’habitude d’épargner les enfants car il voit en eux des hommes que les adultes n’ont pas encore imprégnés de mensonges.
  •  

Son écriture

.   Elle est protéiforme, diffère d’un document à l’autre, prend des formes inattendues comme correspondant à une autre personnalité. Elle met en relief une créativité intellectuelle incessante et peut-être épuisante car la force du trait est faible et instable. L’inconscient est puissant et le mental déconnecté du concret méprisé ou méconnu, ce qui peut engendrer des peurs, notamment au niveau du corps et de l’argent. Céline avait en effet l’angoisse de devenir pauvre. L’extrait donné dans le Trait d’Union n° 60 montre que l’auteur ne suit que ses propres règles. Les accents sont supprimés, le corps des lettres est déformé. Le graphisme instable et souvent informe, la zone médiane malmenée mettent en évidence un manque, une partie de soi-même demeurée étrangère, non investie et secrète. Le domaine de la sensation et du sentiment reste dans l’ombre.

 

          Sa personnalité

          Céline ne sait ni donner ni recevoir ; Sa carence relationnelle est compensée par une exaltation intellectuelle qui n’assure pas  la sécurité intérieure. Sa pensée est d’autant plus forte qu’elle se construit sur un manque ou des frustrations. Il est étranger à lui-même et se définit ainsi : « Je travaille et les autres ne foutent rien. » Lucette Destouches qui a partagé sa vie disait : « Il était lointain, il n’était pas là. »

 

          Sa place dans la littérature

Il se sent isolé, raille la préciosité qui domine la littérature française, les « petits romans émasculés de Gallimard ». « Le plus grand écrivain était Rabelais, dit-il, et on ne le comprend plus et pourtant quel prodigieux inventeur de mots ! Le plus important c’est la langue, rien que la langue. »

   Les traducteurs peinent à transposer Céline dans une autre langue, surtout s’ils sont pudibonds, et la première traduction en anglais du Voyage au bout de la nuit en témoigne. Les nombreuses innovations stylistiques sont difficiles à rendre dans une autre langue, les différents niveaux  de vocabulaire utilisés n’ont pas toujours d’équivalents exacts et le rythme d’écriture, sa "petite musique", est difficile à suivre.

   Les versions du Voyage au bout de la nuit  de l’Américain  Manheim et du Britannique John Marks (traduction de référence pendant 50 ans dans le monde anglophone) donnent une idée très imparfaite du style célinien. C’est par sa vision du monde et non son écriture que Céline a influencé tant d’écrivains américains alors qu’il se considérait avant tout comme un "styliste" et que fond et forme étaient à ses yeux indissociables.

   Céline a également influencé le roman noir et des auteurs comme Frédéric Dard ou Michel Audiard, par exemple. Dard disait : « Céline, c’est le patron […] Mort à crédit est le chef-d’œuvre de ce siècle. » Audiard a vraiment rêvé de porter à l’écran Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit.

 

Conclusion

   Comment résumer Louis-Ferdinand Destouches ? Redisons qu’il n’est réductible ni au nazisme, ni au nihilisme, ni à l’anarchisme. Phénomène unique dans la littérature contemporaine, il a pour proche ancêtre Rabelais. Sa plume, son époque, son tempérament l’ont entraîné sur des sables mouvants, mais il demeure un styliste génial toujours étudié, à la "petite musique" inégalable. Il n’a pas réussi à se faire aimer, au sens propre du terme, à cause de son tempérament, de son cynisme parfois, ou de son laisser-aller, mais il a immortalisé le prénom de sa grand-mère, Céline.

Andrée CHABROL-VACQUIER

En Occitanie, tout est matière à poésie

En Occitanie, tout est matière à Poésie

Des troubadours du Moyen Âge aux poètes d’aujourd’hui, la poésie s’écrit, se lit et se déclame. Elle se diffuse partout, à l’hôpital, en prison, dans les gares ou les cafés, nourrit la chanson, le théâtre ou le cinéma. D’ailleurs, chaque année, la manifestation nationale « Le Printemps des Poètes », créée en 1999 par le ministère de la Culture à l’initiative de Jack Lang, rappelle combien elle est essentielle. Dans notre région d’Occitanie, de nombreux poètes ont marqué leur temps et resteront immortels.

Pour plus de lisibilité nous allons procéder par ordre alphabétique des départements.

1°) Dans l’AUDE, Charles CROS naît en 1842 dans les Corbières et rejoint Paris à l’âge de 2 ans. Il participera plus tard à la fondation du Chat Noir où il invente le monologue mêlant absurde et satire. Il écrit « Le Hareng saur », un petit conte pour enfants, alterne poèmes intimistes, parodies et contes, excelle en tout, et les surréalistes le considèrent comme un précurseur.

2°) Dans l’ARIÈGE, Peyre de RIUS (1344-1386), poète de cour, « trobador de dances » et de « cançons », appartenait à la maison du comte de Foix, Gaston Febus. La bibliothèque de Catalogne conserve un chansonnier et l’un de ses poèmes célébrant les trois passions du comte : les armes, l’amour, la chasse. Ce poète serait l’auteur véritable du « Se canta ».

3°) En AVEYRON, on ne peut oublier Antonin ARTAUD (1896-1948) qui publie ses premiers poèmes inspirés de Baudelaire, Rimbaud, Edgar Poe, à l’âge de 14 ans. En 1914, il est atteint de dépression, est envoyé au sanatorium en 1915 et 1916. C’est en février 1916 qu’il publie des poésies dans La Revue de Hollande. Envoyé au Service militaire, il est réformé. Entre 1917 et 1919, il séjourne dans différents lieux de cure et maisons de santé, peint, dessine, écrit et commence à se droguer avec du laudanum (opium). En 1920, sa famille le confie au directeur de l’asile de Villejuif dont il devient le co-secrétaire pour la rédaction de la revue Demain qui disparaît en 1922. Il s’intéresse au théâtre quand il va quitter Villejuif pour une pension à Passy. Il étudie le mouvement Dada, découvre les œuvres d’André Breton, de Louis Aragon, de Philippe Soupault, rencontre Max Jacob qui l’oriente vers Charles Dullin. Celui-ci l’intègre dans sa compagnie où il joue dans plusieurs pièces, tout en continuant à publier des poèmes. En 1923, il se lance dans le cinéma. Sa véritable entrée en littérature commence en 1924-1925 avec ses premiers contacts avec la nrf et sa correspondance avec Jacques Rivière, publiée en 1924. Il adhère au surréalisme (qu’il quittera en 1925 quand Breton envisage d’adhérer au Parti communiste (français). Il entame alors une carrière de théâtre et de cinéma, puis quitte Dullin pour Georges et Ludmilla Pitoëff à la Comédie des Champs-Èlysées, et enfin fonde le théâtre Alfred-Jarry en 1927. Durant l’année 1936, il est interné dans différents asiles jusqu’en 1946. Dans le dernier hôpital, celui de Rodez, il fut traité par électrochocs, et il décèdera finalement d’un cancer dans une maison de soins en 1948. Il disait : « Tous les vers ont été écrits pour être entendus d’abord, concrétisés par le haut plein des voix […] car ce n’est que hors de la page imprimée ou écrite qu’un vers authentique peut prendre sens et il y faut l’espace du souffle entre la fuite de tous les mots. »

4°) Dans le GARD, Èdith AZAM, née en 1973, renonce à l’enseignement pour vivre dans ses Cévennes natales et se consacrer à l’écriture. « Ma poésie, dit-elle, est un champ dont la terre est toujours retournée, elle est aussi un petit feu autour duquel on peut s’asseoir, au bord de nos chers petits fantômes et leur mémoire ricoche sans cesse. » Elle cherche l’expression libre pour approcher l’énigme du monde. Lire Poèmes en peluches (éd. Le port a jauni). 5 1 2 3 4

5°) Dans le GERS, Jean-Baptiste PEDINI, naît en 1984 à Rodez. Maintenant installé à L’Isle-Jourdain, il trouve son sillon poétique après avoir été émerveillé par le poète Pierre Reverdy qui « avec des mots simples exprimait des choses brutes ». Déjà huit recueils publiés.

6°) En HAUTE-GARONNE, Serge PEY, né en 1950, enseignant à l’université Jean-Jaurès à Toulouse-le-Mirail, manifeste la parole poétique sous toutes ses formes. Il pense que la poésie est politique et se dit à voix haute pour clamer à ceux qui entendent qu’ils doivent se réveiller. C’est un poète visuel, un artiste plasticien qui rédige des textes sur des bâtons avec lesquels il réalise ses « scansions » et ses performances ainsi que des installations qu’il nomme « pièges à infini ». De nombreux lieux ont accueilli ses œuvres. Sa poésie est une poésie d’action qui déplace le poème hors du livre. Elle est liée à un combat pour la libération de l’humanité. Depuis le début des années 1980, on le retrouve chaque lundi à la Cave Poésie de Toulouse dans le cadre d’une université populaire de poésie.

7°) Dans l’HÈRAULT, Pierre TOREILLES (1921-2005) effectue des études de théologie et s’engage comme agent de liaison dans les maquis de Haute-Loire et du Vercors. Après la guerre, il rejoint la librairie Sauramps de son beau-père, à Montpellier, et la dirige jusqu’au début des années 1990 tout en poursuivant une œuvre poétique dense couronnée de nombreux prix. Sa poésie rythmée est souvent composée au cours de marches en montagne.

8°) Dans le LOT, Clément MAROT (1496-1544) naît à Cahors, mais son père, normand, l’initie à la poésie et l’emmène vers Paris et la cour du roi Louis XII où il officie comme historiographe. C’est pour lui un arrachement au pays de l’enfance. Son attachement méridional s’imprime sur ses recueils estampillés « Œuvres de Clément Marot de Cahors en Quercy, valet de chambre du Roy ». Il transpose des psaumes en vers et rimes, en offre le manuscrit à François Ier qui le fait mettre en musique sur des mélodies connues. Le succès est alors considérable. Plus tard, la publication de L’Enfer provoque la colère des autorités religieuses et va le contraindre à s’exiler à Genève où il rejoint Calvin, puis à Chambéry et Turin où il décède. 5 6 7 8

9°) Dans le LOT-ET-GARONNE, Jacques BOÈ dit JASMIN (1798-1864), poète et coiffeur agenais, triomphe en 1834 avec le poème « Mous Soubenis »Il est encensé par Nodier, SainteBeuve et glisse de l’inspiration politique aux histoires romanesques évoquant la vie des humbles. Pendant trente ans il donne des récitals, déclame des poèmes dans tout le Midi. Il est 6 le précurseur des Félibres et fréquente les plus grands de son époque comme Napoléon III, Lamartine. « Ò ma Lenga, tot me zo dit, Plantarèi una estèla sur ton front encrumit. » (Ô ma Langue me dit tout Je planterai une étoile sur ton front obscurci.)

10°) En LOZĖRE, Jean-Louis GUIN, à la fin du XIXe siècle, ouvrier aux mines de Vialas, perd la vue à la suite d’un accident et se consacre à l’alexandrin. Il s’inspire de l’histoire des Camisards de Franck Puaux, dicte et apprend par cœur 7000 alexandrins qu’il s’en va réciter dans les foyers des Hautes Cévennes.

11°) Dans les HAUTES-PYRÉNÉES, Christian LABORDE, le magicien des mots natif d’Aureilhan, a ressenti sa première émotion à la bibliothèque de Tarbes avec Verlaine, Pierre Reverdy, Valéry Larbaud. Il a redonné vie à Claude Nougaro qui disait de lui : « Il est mon frère de race mentale : c’est un poète, un homme qui parle une langue de couleurs, à délivrer les grands baisers de l’âme. » Cette langue de couleurs, Christian Laborde la fait sonner sur scène lors de « tchatcheries espatarouflantes » comme À la table des mots et lors de ses one-manshows Poulidor by Laborde et Nougaro by Laborde qu’il joue de Saint-Saturnin-lès-Apt à Pontivy, d’Albi à Carcassonne, de Paris à Saint-Lary. Citons parmi ses œuvres poétiques Congo, Lana-Song. Troubadour de l’Adour. Christian Laborde sait faire, à l’occasion, danser la langue avec ses compatriotes et amis du Sud-Ouest. Il est toujours en guerre depuis presque trente ans contre l’ennemi le plus dangereux qui soit, le désenchantement du monde. Il a été l’invité de la Compagnie des écrivains le 19 janvier 2013 où il a déclamé Plume d’ange de Nougaro avant de raconter la vie et l’œuvre du chanteur par le biais d’une vidéo.

12°) Dans les PYRÉNÉES-ORIENTALES, Michel DESTIEU, né en Lot-et-Garonne en 1958, est installé depuis quinze ans dans les P.-O. où il écrit sa poésie en occitan. Son recueil L’Estre a obtenu en 2011 le prix Paul-Froment en même temps que Chantal Fraïsse, de Moissac, pour son roman en occitan La bèstia de totas las colors.

13°) Dans le TARN, Jérôme CABOT, professeur de lettres à l’université Champollion d’Albi, spécialiste du langage et de l’analyse des discours, articule aujourd’hui sa recherche autour de la création et de la pratique du slam. En nocturne, il est parolier interprète de deux formations musicales : Double Hapax et Stentor.

14°) En TARN-et-GARONNE, Antonin PERBOSC (1861-1944), né dans une famille de métayers, devient instituteur et exerce longuement à Laguépie, puis à Comberouger en Lomagne de 1894 à 1908. Il s’intéresse à la poésie et ses premiers poèmes écrits en français illustrent des idées laïques et libertaires. Avec Prosper Estieu, son collègue du Lauragais, il s’attache « à un travail d’épuration et de reconstruction de la langue d’oc ». Tous deux sont à l’origine de la graphie normalisée de l’occitan, diffusée par l’Institut d’Estudis Occitans. L’œuvre poétique de Perbosc est lyrique, depuis Lo Gòt occitan, 1903 jusqu’au Libre del Campèstre, édition posthume par l’IEO, 1970. Il faudrait ajouter ses Contes, ses Livres des Oiseaux, ses Fablèls... Citons également son ami Théodore Calbet (1862-1949) qui a chanté le secteur de Grisolles en langue occitane. Mais il nous faudrait aussi citer bon nombre d’auteurs français… 9 11 13 14 7

En fait, dans notre belle Occitanie, tout est poésie, du texte des auteurs au geste de l’artisan. Le ciel est bleu, le vent conquérant, la nature luxuriante, la cuisine généreuse et conviviale et l’accent chantant. Comment ne pas être inspiré dans un tel décor ?

Andrée CHABROL-VACQUIER