Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

Etude : Les traducteurs

Les traducteurs : grandeur et misère (à partir d’articles de presse)

I Qui sont-ils ?

Il existe deux sortes de traducteurs on plutôt de traductrices, car près de huit d’entre eux sont des femmes.

  1. Ceux qui s’occupent de textes techniques (modes d’emploi, travaux industriels) :

    Ils sont souvent employés par les firmes elles-mêmes ou des agences spécialisées et, en général, rémunérés au mois 

  2. (de 16 000 à 90 000 € brut par an), un tiers d’entre eux arrondissant leur fin de mois par des traductions supplémentaires.

 

Ceux qui traduisent des livres (B.D., discours, romans, etc.) :

Ils sont pour la plupart indépendants et doivent publier six ou sept livres par an pour vivre. De plus, la suppression de l’abattement fiscal sur les droits d’auteur les a bien pénalisés.

II Combien sont-ils ?

La France compte un millier de "traducteurs professionnels" pour lesquels cette activité constitue plus de 70% de leur revenu et qui vivent de leur plume. Chaque année, il en arrive encore cent-cinquante qui ne vivront pas de leur travail mais obligeront les premiers à se serrer un peu la ceinture, surtout s’ils traduisent de l’anglais, langue surreprésentée, contrairement au chinois ou au turc.

III Combien sont-ils payés ?

Dans ce métier, la règle est rare et tout se négocie. Il faut savoir si l’on sera payé au feuillet ou au mot, au forfait ou au pourcentage sur les ventes, sur la base du texte de départ ou d’arrivée, si l’on sera relu, corrigé… Avec l’évolution technique, les traducteurs sont de plus en plus mal payés. Autrefois, quand on tapait à la machine à écrire, on se basait sur un feuillet de vingt-cinq lignes avec soixante signes maximum par ligne. Qu’il s’agisse d’un roman avec des dialogues rapides ou d’un essai compact, l’éditeur payait en fonction du nombre de pages du manuscrit. Avec l’arrivée du traitement de texte, le système s’est poursuivi pendant quelque temps et le traducteur qui rendait une disquette touchait un supplément. Mais les éditions comprirent rapidement l’avantage que pouvait leur apporter l’évolution technique. Ils cessèrent alors de verser cette prime et décidèrent que la disquette, puis la "pièce attachée", serait la règle, une façon d’économiser la composition du texte.

Ensuite, ils considèreront avec intérêt l’une des fonctions du traitement de texte : le comptage des signes, une façon de ne plus payer pour les blancs. Dès lors, ils paient au mot, même au signe parfois, carottant au passage le traducteur en comptant les signes seuls et pas les espaces entre les mots. On se demande comment ils consentaient encore à payer les signes de ponctuation. Un feuillet moyen était rémunéré une vingtaine d’euros (un peu plus pour les langues rares, les textes particulièrement difficiles, les travaux urgents, ou pour les traducteurs renommés). On ne les obtient aujourd’hui que si le feuillet contient 250 mots, ce qui représente une baisse de 15 à 30 % du revenu moyen des traducteurs en une quinzaine d’années, malgré la revalorisation calculée par certains éditeurs (10% en moyenne). La poésie est payée parfois à la pièce, même au vers (environ 1,50 € le vers). Il arrive que le traducteur ne reçoive son chèque qu’à la parution du livre et non à la remise du texte.

Néanmoins, il faut savoir que, notamment grâce aux aides à la traduction du Cercle National des Lettres, c’est en France, pays massivement importateur de livres étrangers, que le traducteur est le mieux traité, intellectuellement et financièrement . Aux États-Unis, il vaut mieux éviter de dire qu’on est traducteur, car les portes se ferment comme devant un raté.

La traduction technique est plus facile et mieux rémunérée, en général au forfait ; elle peut bénéficier de l’aide de logiciels spécialisés (Worldfast, Oméga T ; Trados) qui "apprennent" des mots, des tournures, des phrases entières, plus ou moins récurrents dans des textes comparables. Il semblerait que près de 70% des travailleurs techniques fassent appel à ces logiciels qui, mal employés, donnent souvent des résultats catastrophiques, des modes d’emploi incompréhensibles.

Le traducteur, en vertu du Code des Usages, signé en 1993 par ses syndicats et le Syndicat national de l’Édition, doit percevoir un pourcentage sur les ventes, car il est considéré comme un auteur dont le nom doit apparaître sur la couverture de l’ouvrage. Quand cette clause est respectée, il touche de 0,2% à 2% du prix public hors taxe calculé au nombre de pages. Si l’auteur d’origine est une star qui reçoit un pourcentage plus important que d’habitude, le traducteur doit rabattre ses prétentions. Il existe un système mixte, à valoir sur 2% puis 0,5% si le livre dépasse le premier tirage, ce qui arrive très rarement. En revanche, Daniel Pennac reverse à ses traducteurs européens 10% de ce que rapportent les cessions de droits.

Quelques témoignages de traducteurs

  • Gérard Guégan (vient de traduire de l’américain avec son fils Alexandre Un retour du vieux déguelasse de Charles Buckowski, chez Grasset) :

    « Je suis un traducteur occasionnel ; la traduction représente pour moi un revenu marginal… J’ai négocié mon contrat, obtenu 3% sur les ventes avec un à-valoir et je suis payé au feuillet, de 1500 signes, à l’ancienne. Je travaille trois jours et demi par semaine, de 5h15 jusqu’au soir. Mon fils fait un premier jet et je retravaille derrière. Chez Grasset, un préparateur relit anglais et traduction, et un correcteur relit à la fin. Je demande à relire toutes les épreuves jusqu’au bon à tirer. »

  • Denise Beaulieu (a traduit les volumes 1 et 3 de la trilogie 50 nuances d’E.L. James, chez J.-C. Lattès) :

  • « J’ai signé un contrat standard avec une avance sur droits d’auteurs, calculée au feuillet et versée en trois fois (à la signature, à la remise du manuscrit, à l’acceptation). Mon pourcentage doit être de 10% sur le prix public. »

  • François Maspéro (vient de traduire de l’espagnol Trois vies de saints d’Eduardo Mendoza, au Seuil), apprécie ce métier « qui permet de ne pas être seul », car selon le sujet (le tango, les galères, le football, etc.), il est nécessaire d’avoir des documentalistes.

    Malgré le peu de rapport de cette profession, on rencontre des traducteurs heureux, car ils sont animés par la passion, au point même parfois de traduire sans contrat, de publier vingt ans après, parfois à leurs frais.

                                                                                                             Andrée-Chabrol-Vacquier

Les écrivains et la Grande Guerre

Les écrivains et la Grande Guerre
(à partir de la revue Lire de mars 2014 et de coupures du Monde)

 

Combien de temps faut-il pour qu’une plaie cicatrise ? Une vie ne suffit pas, un siècle non plus. Il y a cent ans, le monde brûlait et les écrivains, bien plus et mieux, que les historiens racontent cette guerre de 1914-1918.

Elle est la première guerre à avoir inspiré autant d’écrits, des nationalistes d’abord qui encourageaient l’esprit belliciste, puis des troupes elles-mêmes. Par exemple, en France, Maurice Barrès, que l’on a surnommé « le rossignol des carnages », affirme que la guerre n’est pas à redouter mais qu’elle trempe les tempéraments et se veut promesse de régénération. On pense également à Charles Péguy écrivant : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle  / Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. »

De l’autre côté de la ligne bleue des Vosges, Thomas Mann n’est pas en reste. Son ouvrage Considérations d’un apolitique est un vibrant plaidoyer belliciste affirmant qu’il serait "doux" de mourir pour la paix.

Après ces écrivains responsables avant l’embrasement d’avoir fourni un véritable carburant idéologique et préparé les esprits, il y eut la littérature décrivant la guerre déclenchée. En outre, la proportion d’illettrés dans la troupe étant seulement de 5%, tout le monde écrit et des milliards de courriers sont échangés. Se mêlent les récits, les journaux, les nouvelles, les romans, les œuvres, en somme. En conséquence, dès la fin de l’année 1914, est créé un Bulletin des écrivains de 14 qui sera publié tous les mois pendant toute la durée de la guerre et d’où naîtra, en 1919, l’Association des écrivains combattants. Des milliers de romanciers participent au conflit, que ce soit sous les armes ou comme médecins, ambulanciers, espions. Peu revinrent indemnes. Citons les plus célèbres :

* Erich Maria Remarque (juin-juillet 1917), blessé en Flandre occidentale ;

* Georges Bernanos (septembre-novembre 1916) ;

* J.R.R. Tolkien (juin-novembre 1916) qui a contracté la fièvre des tranchées ;

* Louis-Ferdinand Céline (août 1913-décembre 1915), blessé puis réformé ;

* Somerset Maugham (août 1914-septembre 1918), ambulancier ;

* Jean Cocteau (décembre 1915-juillet 1916), ambulancier ;

* Roland Dorgelès (août 1914-mai 1915) ;

* Joseph Kessel (août 1914-septembre 1918), brancardier, infirmier, pilote ;

* John Dos Pasos (mars 1917-juin 1919), ambulancier ;

* Ernst Jünger (août 1914-août 1918), blessé plusieurs fois ;

* Henri Barbusse (août 1914-juin 1917), au front, puis réformé ;

* Alain (octobre 1914-octobre 1917), blessé à Verdun, il restera estropié ;

* Joe Bousquet (mai 1916-mai 1918), le célèbre poète carcassonnais, bien connu chez nous puisque compagnon, ami de la Montalbanaise Ginette Augier qui fut aussi sa partenaire littéraire ; blessé aux vertèbres, il restera invalide, paralysé à 24 ans ;

* Maurice Genevoix (janvier 1914-avril 1915), réformé après avoir été blessé ;

* Pierre Drieu La Rochelle (novembre 1913-février 1916), blessé, puis réformé ;

* Guillaume Apollinaire (avril 1915-mars 1916), blessé puis trépané ;

* Jean Giono (juin 1916-octobre 1919), gazé ;

* Jean Paulhan (avril 1914-décembre 1914), blessé ;

* Blaise Cendrars (août 1914-septembre 1915), blessé, puis amputé du bras droit ;

* Louis Aragon (août 1917-septembre 1919), médecin ;

            * C.S. Lewis (novembre 1917-avril 1918), blessé ;

* Louis Pergaud (avril 1914-avril 1915), décédé à l’hôpital détruit quand il était soigné;

* Georges Duhamel (août 1914-septembre 1918), médecin ;

* Raymond Chandler (août 1917-septembre 1918) ;

* Alain Fournier (août 1914-septembre 1914), tué au sud de Verdun ;

* Jean Giraudoux (août 1914-juin 1915), blessé à la hanche ;

* Henry de Montherlant (mai 1918-juin 1918), blessé ;

* Charles Péguy (août 1914-septembre 1914), tué à la bataille de la Marne.

Sur les autres fronts, citons : * Jaroslav Hasek (mars 1915-février 1917), en Galice ;

            * Ernest Hemingway (août 1918-juillet 1918), ambulancier, blessé aux jambes en Italie ;

            * Gabriele d’Annunzio (mai 1915-décembre 1920), pilote de chasse, il perd un œil ;

            * T. E. Lawrence (octobre 1916-octobre 1918), en Arabie saoudite, Jordanie, Syrie.

            Après cette énumération, nous constatons que la Grande Guerre était une guerre d’hommes bien que de nombreuses femmes aient été impliquées comme bénévoles. Certaines étaient ou devinrent écrivains comme Agatha Christie qui eut un rôle d’infirmière, puis de pharmacienne, ce qui lui permit d’acquérir une solide connaissance des poisons ; elle écrivit son premier roman, La mystérieuse affaire de stylos, en 1917, en plein conflit. Citons également : Enid Bagnold, infirmière, l’Australienne Helen Zenna Smith, la Britannique Vera Brittain, l’Américaine Ellen La Motte, non traduites en France. D’autres femmes de lettres jouèrent un rôle sur le territoire français, Edith Wharton (futur prix Pulitzer en 1921 pour Le temps de l’innocence), Colette qui côtoya le front et écrivit Les heures longues, 1914-1917, chez Fayard.

            La Grande Guerre est un sujet toujours actuel qui inspire les romanciers par ses drames, les bouleversements qu’elle a induits dans la société. Citons Philippe Claudel avec Les âmes grises, Xavier Hanotte (Derrière la colline) qui pratique un genre littéraire particulier, le réalisme magique, qui le fait glisser de la description la plus glaçante à un onirisme poétique magnifique, Jean Vautrin (Quatre soldats français), Pierre Lemaître qui, comme le précédent, a commencé par le polar et a obtenu le Goncourt 2013 avec Au revoir là-haut, premier volet d’une trilogie qui embrassera le XXème siècle.

De nombreux auteurs de romans policiers se tournent vers la Grande Guerre : Patrick Pécheret, sensibilisé par ses lectures de jeunesse, avec son roman Tranchecaille, Pierre Sinias avec Ras le casque, Sébastien Japrisot : Un long dimanche de fiançailles, Marc Dugain : La chambre des officiers. En parlant de la guerre, tous assimilent les gradés à des "serial killers" envoyant les soldats au massacre.

La Grande Guerre intéresse donc les romanciers mais également les lecteurs pour qui la bibliothèque idéale pourrait être :Ceux de 14 (M. Genevoix), Le feu (H. Barbusse), Orages d’acier (E. Jünger), Les croix de bois (R. Dorgelès), Le grand troupeau (J. Giono), L’adieu aux armes (E. Hemingway), La peur (G. Chevallier), La main coupée et autres récits de guerre (B. Cendrars), Les hommes de bonne volonté (tome 3 de J. Romains), Ecrivains dans la Grande Guerre (F.-M. Frémeaux), 1915 L’enlisement (J.-Y. Le Naour), La Première Guerre mondiale (G. Sheffield).

Pris dans l’engrenage du conflit, les écrivains furent donc nombreux à rejoindre un front meurtrier qui leur a coûté cher. En effet, cinq cents d’entre eux ne revinrent jamais des tranchées, à l’image de Péguy, Fournier, Pergaud. D’autres sont retournés, blessés, brisés, comme Barbusse, Remarque, Céline, Hemingway, Bousquet. Mais de cette catastrophe humaine, ces hommes de lettres ont tiré une œuvre féconde et terrifiante ; ils ont ainsi édifié un monument aux morts.

A la mémoire de tous ces combattants, pétris d’idéal, écoutons quelques vers de Daniel Cornette de Venancourt (1873-1950) qui perdit ses deux fils (19 et 20 ans) au combat en 1915 et 1916 :

« Et vous dont j’admirais la modeste apparence
Vous avez accepté de donner pour toujours

Sans doute un noble esprit, au moins votre espérance,

Le cœur de votre mère et toutes vos amours…

 

Au milieu des martyrs, nous pensons aux coupables ;

Un César dans sa cour et l’argent derrière eux.

Quelle amertume en nous contre ces misérables

Qui savaient que la guerre est un mal monstrueux !

 

Mais nous disons aux morts : Votre mémoire est belle !

Reposez entre amis, loin de notre douleur ;

Dormez entre soldats, dans la paix éternelle ;

Restez sous vos drapeaux, restez au Champ d’Honneur. »

 

                                                                                              Andrée Chabrol-Vacquier

Etude : Best-sellers & long-sellers

Best-sellers et long-sellers

            d’après l’ouvrage de Frédéric Rouvillois : Une histoire des best-sellers (Flammarion 2011)

I Comment définir best-seller et long-seller ?

Le mot « best-seller » est utilisé pour la 1ère fois en 1889 aux U.S.A., puis se diffuse dans l’Empire britannique et, au lendemain de la Grande Guerre, dans le reste du monde. Il signifie littéralement « celui qui vend le plus ». Il qualifie des livres qui rencontrent un grand succès pendant des mois, des années parfois, devenant alors des « long-sellers ».

Le phénomène qu’il représente (succès en littérature en un très bref laps de temps) existe depuis l’invention de l’imprimerie. Au commencement était… la Bible. Tous les classiques sont concernés à commencer par les œuvres de Shakespeare, devant Agatha Christie et Mao Zedong. L’écrivain Marc Lévy a été désigné comme étant le romancier français vivant le plus lu dans le monde. Ses 14 romans (un par an) traduits en 48 langues se sont arrachés à 30 millions d’exemplaires ! Le 15 avril paraîtra son 15ème roman.

Le « best-seller » n’est pas forcément lu ; c’est ce que les Anglo-Saxons appellent un « hype book », un livre qu’il faut acheter pour être dans le coup. Le long-seller est un « buzz book », celui que tout le monde apprécie.

 

II Ce qui caractérise les « best-sellers »

  1. un grand nombre d’exemplaires vendus : ils ne sont pas toujours lus et les chiffres sont trompeurs, car parfois truqués volontairement pour diverses raisons :

    a. les détruire : ainsi, en 1867, une part importante du succès de La vie de Jésus, d’E. Renan, aurait été due aux pires ennemis de celui-ci, les curés de Paris qui voulaient éviter la damnation éternelle aux lecteurs,

    b. créer un véritable phénomène : c’est le cas de La case de l’oncle Tom, de Harriet Beecher-Stowe, avec l’éditeur John Jewet qui surévalue le chiffre de vente comme l’avait fait, en 1832, Charles Gosselin avec La peau de chagrin, de Balzac, et le feront d’autres éditeurs : Bernard Grasset, en 1920, avec Maria Chapdelaine, de Louis Hamon, puis Le Diable au corps, de Raymond Radiguet, qui passera subitement de la 52ème à la 83ème édition !,

    c. allécher la critique et exciter le public : dans ce cas, on exhume un « best-seller » oublié en exagérant les chiffres de vente. C’est ce qui se passa pour Maurice Debroka (1825-1873) avec La Madone des sleepings ‘1925), Mon cœur au ralenti, La gondole aux chimères. Ce succès irrita la critique sérieuse traitant ces ouvrages de « livres fumeux et lamentables ». Trois quarts de siècle plus tard, l’effet grossissant de l’éloignement et de la nostalgie fait de M. Debroka « l’écrivain le plus vendu de tous les temps ».Traduits en 75 langues, ses livres se sont vendus par dizaines de millions, comme la Bible ou l’œuvre de Shakespeare. Pour son biographe, M. Debroka serait « le créateur du best-seller » ; maintenant, cette œuvre désuète est tombée dans l’oubli mais il est assez vraisemblable que M. Debroka n’a pas vendu plus de 1 ou 2% des 90 millions d’exemplaires qu’on lui prête.

  2. Le fait d’avoir un succès immédiat, tardif ou éphémère

  1. immédiat : ce succès immédiat est presque toujours préfabriqué. Toutefois, citons le pseudo-miracle des Méditations, de Lamartine, parues en mars 1820, chez un éditeur obscur, sous la forme d’un petit opuscule de 24 poèmes sans nom d’auteur. Dès le lendemain de la mise en vente, ce fut la ruée et l’attention des grands hommes du moment, y compris du roi. Il faut remonter au Cid, assure Jean d’Ormesson, pour trouver pareil engouement (7 éditions en un an), mais ce lancement était préparé par le fait que Lamartine était la coqueluche des salons. Le même phénomène se produit avec les « serial best-sellers » apparus massivement dès 1970. Ils ont pour auteurs : Mary Higgins Clark, Ken Follet, Stephen King, Daniele Steel (auteur le plus lu et le plus populaire au monde), etc. qui enchaînent les succès. Aujourd’hui, tout cela se confirme avec les « méga best-sellers », comme les Harry Potter.

  2. tardif : l’éclosion se fait alors après quelques années ou décennies. Elle est la conséquence, soit d’un changement de statut de l’auteur (Mein Kampf après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Le fil de l’eau du Général de Gaulle, écrit vers 1930, Les Poèmes barbares après la Libération et l’élection de Leconte de Lisle à l’Académie française),

  3. éphémère : la majorité des « best-sellers » se périme vite. Avec 75 titres, Danièle Steel est l’auteur contemporain le plus lu et le plus populaire mais connaît maintenant la chute, car tous ses livres se ressemblent. Les séries résistent mieux, de même que Stephen King qui donne le sentiment de construire une œuvre. Nous pouvons nous demander si la péremption atteindra les aventures de Harry Potter ou de Robert Langdon, le héros de Dan Brown.

     

    III Comment se fait un « best-seller » ?

  1. par volonté de réussir coûte que coûte, en utilisant des techniques de production, des recettes qui ont fait leurs preuves jusqu’au sacrifice de sa propre personnalité. Ainsi on montre la vie en rose, comme Barbara Cartland ou les éditions Harlequin. On utilise toujours le même canevas comme Dan Brown, l’un des plus gros producteurs de « best-sellers » vivants avec 1000 coups de théâtre, un « happy end » total. Katherine Pancol qui est l’une des plus grosses vendeuses de livres en France et a été traduite dans une vingtaine de langues, notamment aux U.S.A. l’an dernier, a sa recette : des personnages banals, des titres accrocheurs et bizarres (Les yeux jaunes des crocodiles, La valse lente des tortues, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi), une écriture simple, dialoguée et surtout un concept commercial redoutable : elle se transforme en « romancière de proximité », demande aux lecteurs de dialoguer avec elle par blog interposé (« blablablog »), organise des concours sur son site, invite des lecteurs à passer une journée avec elle sur le tournage des films adaptés de ses romans, va même jusqu’à réunir 250 lecteurs pour un pique-nique au Bois de Boulogne.

    Il s’agit de se faire un public captif, tenu en haleine par des publications nombreuses et répétées : 4 livres par an pour Frédéric Dard, 3 pour Danièle Steel, 1 toujours fin août pour Nathalie Nothomb. Cette volonté ne suffit pas toutefois pour prolonger la réussite. C’est le cas de Jules Verne qui, après avoir été universellement célèbre durant 25 ans avec le Tour du monde en 80 jours, Cinq semaines en ballon, lasse ensuite son public. De même, Scott Fitzerald, encensé pour L’envers du Paradis, boudé ensuite avec Gatsby le magnifique et autres ouvrages, a retrouvé la popularité à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

  2. en trichant 

  1. en volant les idées des confrères : ainsi un groupe ami, semble-t-il, de Lope de Vega, écrit un second tome à Don Quichotte que Cervantès tardait à produire,

  2. en faisant travailler des nègres : Alexandre Dumas en avait plusieurs (Marquet, Augier, Fiorentino, Vacquerie), de même que Jules Verne à la fin de sa vie (il utilisait notamment son fils), ou Paul-Loup Sulitzer (son nègre était Loup Durand) qui a signé un chapelet de « best-sellers » dépassant souvent le million d’exemplaires. Ce dernier cas a été révélé, en 1987, par Pierre Assouline, directeur du magazine Lire, sur un plateau d’ « Apostrophes », l’émission de Bernard Pivot et le scandale a fait sensation, Sulitzer venant d’être décoré par le ministère de la Culture.

  3. en plagiant : à la fin des années 1980, Régine Desforges a été accusée par les héritiers d’Autant en emporte le vent, de s’être inspirée dans les cent premières pages de sa Bicyclette bleue, de l’œuvre de Margaret Mitchell. La justice l’a disculpée et le livre a été vendu à plus de 6 millions d’exemplaires. En 1999, Alain Minc est accusé d’avoir plagié Spinoza en ayant puisé dans un livre d’un professeur de philosophie bordelais et il a été lourdement condamné.

  4. en pratiquant l’imposture, la tromperie, portant tantôt sur l’identité de l’auteur, tantôt sur la véracité des faits, tantôt sur les deux. Les exemples sont nombreux : L’horloge des princes, l’un des plus grands « best-sellers » du XVIème siècle, est un faux d’un moine franciscain espagnol, Antonio de Gueva ra, pour une autobiographie de l’empereur Marc-Aurèle. Au XVIIIème siècle, faux également, des Poèmes d’Ossian, par un précepteur de 26 ans, James Macpherson, prétendant donner une traduction de l’ancien gaélique de l’ouvrage rédigé au IIIème siècle par Ossian, fils du roi Fingal. Le succès fut énorme, international, puis controversé, mais la mode demeure et le soi-disant traducteur est mort en pleine gloire. En 1969, Henri Charrière rencontra un succès énorme avec Papillon, vendu en France à 2 millions d’exemplaires, sur un total de 11 millions dont la moitié aux U.S.A.. Ce livre fut contesté par Gérard de Villiers dans Papillon épinglé, montrant un assemblage de faits glanés ici ou là, ou imaginaires pour rendre le récit poignant, spectaculaire et attirer le client.

 

3.  en ayant un bon éditeur : Jusque vers le milieu du XIXème, l’éditeur est un libraire ou un imprimeur, et semble spectateur, peu concerné par les livres qu’il publie. A partir de la Monarchie de juillet, les choses changent peu à peu et les éditeurs deviennent audacieux :

 

  1. ils cherchent à baisser le prix des livres, comme Gervais Charpentier qui produit ainsi une vraie révolution, obtient un grand succès avec La physiologie du goût, de Brillat-Savarin, Eugénie Grandet et La physiologie du mariage, de Balzac. D’autres éditeurs suivent : Victor Lecou, Lavigne et, début du Second Empire, Louis Hachette, Michel Lévy et, au XXème, Fayard, Calmann-Lévy qui publie Pêcheur d’Islande, de Pierre Loti.

  2. ils inventent la « réclame », c’est-à-dire la publicité.

  3. certains sont faiseurs de « best-sellers », Grasset, le premier, déploie talent et dévouement « pour mener un livre a            u succès », comme Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, en échec jusque là. Il emploie un budget publicitaire considérable, harcèle la presse, multiplie affiches et placards dans les journaux, exagère les ventes annoncées. Ainsi, en forçant le destin, il enchaîne les réussites : Climats, d’André Maurois, Le diable au corps, de Raymond Radiguet, etc. D’autres éditeurs le suivent, comme Albin Michel. La méthode employée est la suivante :

  1. faire connaître : c’est le lancement du livre de façon médiatique ou en s’appuyant sur un élément objectif. Par exemple, Grasset, pour lancer les Bestiaires, d’Henry de Montherlant, a loué le Vel d’Hiv’ afin que l’auteur y donne, durant l’entracte d’une course de vaches landaises, une conférence sur « le culte du taureau à travers les âges ». Pour Louis Hémon, il a insisté sur la mort de l’auteur au fin fond du Canada, dans des circonstances tragiques et mystérieuses. Pour Radiguet, il a mis en valeur que l’auteur avait écrit Le diable au corps à l’âge de 16 ans, puis était mort d’une typhoïde à 20 ans. Aujourd’hui, on met en valeur les « feel good books » (livres qui font du bien) avec Indignez-vous, de Stéphane Hessel, Petite Poucette, de Michel Serres, Un été avec Montaigne, d’Antoine Compagnon, Le sel de la vie et Le goût des mots, de Françoise Héritier. Selon Frédéric Rouvillois, c’est « une littérature de confort, un paracétamol, intellectuel ».

  2. faire acheter : la création du « Livre de poche », vers 1930, aux U.S.A., en Allemagne, Grande-Bretagne, puis en 1953, chez nous, avec Koenigsmark, de Pierre Benoît, a été un bon moteur. Thérèse Desqueyroux, qui avait été vendu à sa sortie, en 1927, à 30 000 exemplaires, dépasse ainsi les 2 millions en 1982. Les dents de la mer, de Peter Benchley, paraît en poche en février 1975 et deviendra un « best-seller » (9 millions d’exemplaires avant la fin de l’année). Plus près de nous, le prix Goncourt 2012, Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrarri, a été publié en poche, un an après la parution grand format et son éditeur, Babel (Actes Sud), a dû, dès la mi-septembre, lancer une deuxième impression, après une première à hauteur de 100 000 exemplaires.

    Certains éditeurs emploient les techniques les plus sophistiquées, comme les éditions XO, créées en 2000, par Bernard Fixot, ancien dirigeant chez Robert Laffont. Il n’édite que 15 ou 20 livres par an afin de faire du sur-mesure, calibre la narration, fait du « marketing » tonitruant, utilise un « packaging » chatoyant, veille sur tout, investit jusqu’à 9% du chiffre d’affaires pour la « réclame ». Ainsi, pour le lancement de la nouvelle série de Christian Jacq, La pierre de lumière, il organise luxueusement un voyage promotionnel pour 130 personnes au pied des Pyramides. En 2002, Fixot occupe la 2ème place au palmarès des éditeurs et sa petite entreprise est devenue « une incroyable fabrique » de « best-sellers. En 2004, il publie pour la 1ère fois Guillaume Musso qui devient locomotive de sa maison (1 livre par an). En 2001, son site internet affirmait qu’au bout de 10 ans, sur 152 titres publiés, 130 avaient figuré sur les listes des meilleures ventes et 109 avaient été largement vendus à l’international.

  3. faire savoir : les U.S.A. commencent à établir « la liste des meilleures ventes », en 1985, ce qui viendra en Europe après la Seconde Guerre. En France, c’est L’Express, de J.-J. Servan-Schreiber, qui commence le premier, en avril 1955. « L’annonce du succès développe le succès », paraît-il, mais cela ne correspond pas toujours à la valeur des livres.

    L’éditeur se révèle parfois un bourreau quand il sort un livre du néant pour en faire un « best-seller » aux dépens de l’auteur. Théophile Gautier a été séquestré par Charpentier pour l’obliger à achever son manuscrit. D’autres éditeurs harcèlent les retardataires. Boris Pasternak a eu son roman Le docteur Jivago censuré en Russie, mais l’ouvrage a été obtenu malhonnêtement de l’auteur par l’éditeur italien Feltrinelli, publié avec un succès énorme en novembre 1957, couronné par le Nobel sur proposition d’Albert Camus, fustigé par la Russie. Pasternak s’est vu enlever sa qualité d’écrivain soviétique, menacé d’exil et mourra en 1960.

  4. en étant victime de la censure : en 1947, Boris Vian était un auteur presque inconnu dont les romans n’avaient aucun succès. Il propose à un ami éditeur en demande de « best-sellers » de lui en écrire un. Ce sera J’irai cracher sur vos tombes que Vian signera d’un nom inventé : Vernon Sullivan. Après une plainte d’une ligue de vertu contre le livre qui démarre mollement et un procès retentissant, le triomphe arrive avec 600 000 exemplaires vendus. Il en a été de même pour Diderot avec L’Encyclopédie et Voltaire avec Candide, Les lettres persanes, de Montesquieu, Le contrat social et L’Emile, de Diderot, le poète Béranger au XIXème, L’amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence (mort pauvre en 1930 et célèbre en 1960, bien qu’écrivain mineur), Madame Bovary, de Flaubert, Lolita de Nabokov, Le tropisme du Capricorne, d’Henry Miller, Histoire d’O, paru chez Pauvert, ou encore Les versets sataniques, de Salman Rushdie,

  5. en étant accompagné de la sortie d’un film, ce qui se manifeste dès le début du XXème siècle, avec le cas James Bond (nombreux livres de Fleming), Autant en emporte le vent ou Le docteur Jivago. Tous les n° 1 de la liste des « best-sellers » américains ont été adaptés au cinéma sauf trois. Toutefois, certains romans célèbres ne sont pas adaptés comme, par exemple, La carte et le territoire, de Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010, ou sont des échecs au cinéma : Les particules élémentaires, La possibilité d’une île. De toute façon, en cas de succès du film, ce dernier finit par l’emporter dans la mémoire collective sur le livre correspondant. Il fait exploser les ventes du roman ; cela s’est réalisé pour Le parrain de Mario Puzo, déjà « best-seller ».

  6. en ayant l’appui d’émissions littéraires à la télévision : « Apostrophes », puis « Bouillon de culture » avec Bernard Pivot, « La grande librairie » avec François Busnel, où l’on peut discourir entre auteurs et être interviewé. Citons Les gens de Mogador, d’Elizabeth Barbier, ou Au bon beurre de Jean Dutourd, devenus ainsi des « best-sellers ».

     

    IV Pourquoi achète-t-on des « best-sellers » ?

  1. par obligation :

    1. pour obtenir son salut, ou assurer ses convictions religieuses (par exemple avec la Bible, n° 1 des « best-sellers », ou les livres du culte tels que le Coran (« best-seller » n° 3)

      ou ses convictions politiques avec par exemple Mein Kampf, Le Petit Livre rouge...

    2. pour assurer sa réussite sociale, scolaire ou personnelle : les livres scolaires ou pour s’instruire. En Chine, Le Petit Livre rouge est considéré comme un manuel d’éducation. En France, citons Le tour de la France par deux enfants, de G. Bruno, les « best-sellers d’Hachette : Bescherelle, A. Colin, Bordas, avec le Lagarde et Michard (2ème moitié du XXème siècle).

  1. pour paraître, en s’intéressant à la nourriture (par exemple : au XVIème siècle, Gargantua, de Rabelais ; en 1838, la Physiologie du goût, de Brillat-Savarin) ou au culte du corps : à partir du XXème siècle, on compte les calories, on désire maigrir. En 1968, trois livres de régime se hissent parmi les 10 meilleures ventes, notamment le Weight Watchers Cook Book,, de Jean Nidetch. Ensuite, citons La Diet Révolution, du docteur Atkins, en 1972, Je mange donc je maigris, de Michel Montignac, en 1986, Je ne sais pas maigrir, de Pierre Dukan, en 2000.

  2. pour faire comme les autres. Bernard Grasset disait : « C’est par snobisme que les choses ont commencé. » La faveur de la Cour ou des salons détermine, au XVIIème siècle, le succès des Précieuses, au XVIIIème, celui de Voltaire et de L’Encyclopédie, au XIXème celui du jeune Lamartine, et au début du XXème , la vogue d’un Cocteau ou d’un Paul Valéry. Les livres achetés par panurgisme ne sont pas forcément lus.

  3. Parce que le livre a été primé : par les jurys Goncourt, Femina, Renaudot, Pulitzer ou autres. Ce ne sont pas toujours les meilleurs livres ; une belle exception cette année avec Au-revoir là-haut, de Pierre Lemaître.

  4. Pour trouver un certain confort :

      1. se distraire avec des livres accessibles, tel La première gorgée de bière, de Philippe Delerm,

      2. se confronter avec la mort, la violence, l’aventure, l’étrange, le « suspense ». Aux XVème et XVIème , on lit les romans de chevalerie : Don Quichotte, Les Voyages de Gulliver, Robinson Crusoë, plus tard, La case de l’oncle Tom, Ben Hur. Au XIXème, s’imposent le roman policier avec Edgar Poe et ses Histoires extraordinaires, le western : Le dernier des Mohicans, puis la littérature de guerre : Le grand cirque (1948), de Pierre Clostermann, Mémoires de guerre du général de Gaulle, la littérature d’espionnage : L’espion qui venait du froid (1968), de John Le Carré, le fantastique, la science-fiction, la littérature d’horreur avec Hoffmann, Mary Shelley, Bram Stoker et son Dracula, Stephen King, Dan Brown, Paolo Coelho, J.-K. Rowling, les romans d’amour, les romances sentimentales avec Guillaume Musso, Marc Levy, ou Sur la route de Madison, de Robert Waller.

      3. se rassurer :

        * en faisant de pieuses lectures, pour se tourner vers Dieu, avec par exemple, L’introduction à la vie dévote, de François de Sales, au début du XVIIème, L’Ange conducteur du jésuite Coret, en 1683, L’imitation de Jésus-Christ, entre 1683 et 1687, le « catéchisme historique », de l’abbé Fleury (1679), Les paroles d’un croyant, de Lamennais, en 1840, The Robe (La Tunique), de Lloyd Douglas (1942) et « The Big Fisherman, de Douglas, toujours consacré à saint Pierre.

         

        * en lisant des livres permettant de se reconnaître :

        le martyr : La case de l’oncle Tom, Mes prisons, de Silvio Pollico

        le bienfaisant (souvent médecin) : Corps et âmes, de Maxence Van der Meersch, Les hommes en blanc, d’André Soubiran, La citadelle, de Cronin, Le livre de San Michele (1929) d’Axel Munthe

        le rebelle : Indignez-vous, de Stéphane Hessel (2010)

        le sauveur : Profiles In Courage, de John Fitzgerald Kennedy, L’audace d’espérer (2006), de Barack Obama.

         

        Conclusion : Comme le disait Gaston Gallimard, vers la fin de sa carrière : « On ne sait jamais rien du sort d’un livre. ». Malgré les qualités de l’ouvrage, le talent de l’auteur, les efforts de l’éditeur, les relais médiatiques, subsiste toujours un impondérable, une part de mystère échappant à l’explication rationnelle. Jean d’Ormesson était promis par Julliard à un triomphe à la Sagan ; pourtant, ses premières œuvres ne marchent pas et il devra attendre les parutions d’Au revoir et merci et surtout La gloire de l’Empire. De même, Robert Sabatier, auteur d’une monumentale Histoire de la poésie française, trouvera le succès avec Les allumettes suédoises, ouvrage qui deviendra un « best-seller ». Certains « best-sellers » sont nés par miracle !

        . miracle de la découverte : Autant en emporte le vent a été publié par hasard et sans conviction par Margaret Mitchell, poussée par une amie et un éditeur à sortir d’un tiroir des feuillets entassés depuis plusieurs années. Suite française, d’Irène Nemirovsky, et La conjuration, de John Kennedy Toole, refusé par les éditeurs qui poussèrent ainsi l’écrivain au suicide conduisirent à des succès posthumes.

        . miracle de la rencontre, entre un auteur et un éditeur (M. Mitchell),

        . miracle de "l’air du temps" : c’est le cas de Voyage au bout de la nuit, de Céline, en phase avec les turbulences des années 1925, de Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, en 1953, ou "Les souffrances du jeune Werther", de Goethe, en 1774, L’Amant, de Marguerite Duras, en 1984, Le coffret de Noël, de Richard Paul Evans, en 1995, écrit en six semaines, vendu à huit millions d’exemplaires.

        . miracle de la transgression des lois du genre :

                    . trop petit, trop modeste : en 1935, le lancement d’une collection de livres haut de gamme en format de poche, au prix de 6 pence en Grande-Bretagne, par Allen Lane laisse sceptique et trouve la gloire avec les textes d’Ernest Hemingway, d’André Maurois, d’Agatha Christie.

                    . trop gros : contrairement aux théories selon lesquelles le roman policier inventé au XIXème, doit être bref, Stieg Larsson rencontre un succès immense en 2012 (50 millions d’exemplaires vendus) avec un ouvrage de 3000 pages : Millenium.

                    . trop difficile : en 1980, Umberto Ecco publie, en 1980, avec un succès retentissant, un livre hors du commun : Au nom de la rose, qui traite un sujet inhabituel, avec beaucoup d’érudition, des passages en latin, vieux français, moyen allemand.

        « Rien de meilleur, qu’un livre devenu obligatoire » affirmait Céline devant le succès du Voyage au bout de la nuit. Ce jugement ne se dément pas. C’est ainsi qu’un « best-seller » devient un « long-seller » comme Don Quichotte, Le Cid, Candide, Robinson Crusoë, Les Misérables, La Peste, Le petit Prince. Il aura fallu malgré tout trois siècles pour que Shakespeare devienne l’auteur le plus lu au monde, l’homme qui a vendu quatre milliards d’exemplaires.

        N.B. : Le pamphlet Crise au Sarkozistan, de Daniel Schneidermann, est devenu récemment le 1er « best-seller » d’internet avec 21000 ventes à ce jour. Il est imprimé à la demande, à Cahors et Orthez, par notre fidèle imprimeur Jean-Paul Lafont.

 

 

 

Andrée-Chabrol-Vacquier (à suivre)

 

Etude : les romanciers ont-ils tous les droits ?

 Les romanciers ont-ils tous les droits ?

d’après le journal Lire (mars 2003)  et le forum du Nouvel Observateur : Nantes (11 avril 2013)
 

 

Les romanciers peuvent-ils décrire les pires atrocités, les pires crimes dans une œuvre de fiction, livrer en pâture les faits et gestes de leurs proches sans dévoiler leurs noms ?

 

Selon la loi, le roman bénéficie d’une immunité. La censure, maintenant privatisée est le fait des associations, donc de la société civile qui se substitue à l’Etat et s’arroge le droit de décider du sort d’un roman et d’impliquer la responsabilité de l’auteur. Deux ouvrages en ont fait les frais en septembre 2002 : Rose bonbon, de Nicolas Jones-Gerlin (Gallimard) qui raconte à la 1ère personne les turpitudes d’un pédophile et Il entrerait dans la légende, de Louis Storecki (Leo Scheer) qui narre les délires cruels et violents d’un tueur en série. Le premier a pu ressortir après que Gallimard ait changé le bandeau rouge contre un blister et un avertissement stipulant « Livre de fiction ». Pour le deuxième, Leo Scheer demeure poursuivi en justice.

 

Serait-ce là une stratégie de marketing ? Certains le pensent ; tout cela est bien aléatoire. Pensons aux Onze mille verges, de Guillaume Apollinaire, accumulation de descriptions lubriques et obscènes que la censure a laissé passer en 1949 à cause du nom de l’auteur patriote, engagé dans l’armée française de 1914. Vernon Sullivan n’eut pas cette chance pour J’irai cracher sur vos tombes. Les textes les plus condamnés ont trait à la pédophilie bien que L’Enchanteur (1939), de Nabokov, n’ait pas eu de problème grâce à une 4ème de couverture amortissant l’effet du texte. Les mains en l’air et Braquage, mode d’emploi (Leo Scheer), d’Emmanuel Loi, paru en 2002 n’ont pas eu de polémique, pas plus que Paul des Epinettes ou la myxomatose panoptique, pamphlets contre la société de Jean-Marc Rouillan emprisonné (ancien dirigeant du mouvement terroriste d’ultra gauche).

 

Avec Nicolas Genka, la censure moderne a eu son cobaye idéal. L’auteur de L’épi monstre (livre interdit et détruit en 1961) et Jeanne la pudeur (1964) a subi censure d’Etat, censure individuelle (par son beau-frère), censure par la fatigue des procès durant cinq ans, censure par la rumeur (maison du Finistère saccagée), censure par l’oubli enfin puisque Genka a été longtemps écarté du monde des écrivain (il semble sorti du RMI mais n’écrit plus rien). On peut se procurer L’épi monstre dans toute librairie mais la censure dure toujours.

 

L’esprit de censure s’arrête-t-il jamais ? De toute façon, de la censure d’Etat à celle de l’individu, du tabou de l’inceste à celui de la pédophilie, l’interdit se déplace.

 

Nous avons des exemples récents avec Lionel Duroy attaqué par sa famille (10 000 € à verser par l’éditeur à son fils), Christine Angot qui a pillé dans Les petits, La vie des amants, la vie d’une femme (40 000 € à payer avec son éditeur, Grasset, à sa rivale), Marcella Yacoub qui, dans Belle et bête, a instrumentalisé l’acte d’écrire (50 000 € à payer avec l’éditeur Stock à DSK pour un livre bien écrit, ne donnant aucun nom mais monté en épingle par la presse), Patrick Poivre d’Arvor qui a détaillé sa vie avec ses maîtresses (condamné en 2011 à verser 25 000 € à son ancienne compagne, 15 000 € de frais et à ne pas être réédité ; rejugé le 19 juin dernier), Richard Millet qui a exalté le geste terroriste d’Anders Breivikce, Norvégien de 32 ans, coupable d’avoir perpétré par idéologie dans son pays deux attentats terroristes (77, puis 69 morts), condamné à 21 ans de prison le 24 août dernier (livre déclaré fasciste mais non interdit)

 

Que dire à nos romanciers ? Qu’ils doivent être vigilants car le livre s’inscrit dans le temps, qu’ils n’ont pas le droit de saccager la vie d’autrui, de compromettre quiconque, qu’ils soignent leurs façons d’exprimer des vérités universelles touchant à la condition humaine, afin de ne pas être manipulés, pourchassés, bannis et parfois ruinés. Il appartient à l’éditeur d’être un garde-fou, de substituer des mots, d’insérer une 4ème de couverture, de ne pas admettre un livre en vue d’un scandale et de profit.

 

La littérature est vitale et a besoin de protection car « elle est tout, sinon elle n’est rien » ; l’écrivain ne doit pas être un bon citoyen, il est engagé. Pierre Brunel, professeur à la Sorbonne, affirme que les romanciers ont tous les droits quand ils ont du talent, sauf dans le cas de plaidoyer, d’apologie ou lorsque le livre est utilisé à des fins avouées et conscientes autres que littéraires. Il laisse à l’écrivain le droit de nommer une femme comme il a le droit de nommer un pommier ou un étang, précisant qu’à certains moments perce l’envie d’exposer et d’exploser, la littérature n’étant pas seulement faite d’un contrôle intellectuel ou moral et laissant la possibilité, le droit d’avoir une censure intérieure, un interdit de silence, un interdit de paroles.

 

Que dire à la justice ? Qu’il n’existe quasiment pas d’œuvre de fiction qui n’ait un point de départ dans la réalité ? Qu’elle prenne en compte le côté rapace et voyeur de certaine presse qui seule mérite d’être attaquée puisqu’elle met des noms, des photos montages évocatrices sur les faits anonymement relatés, qu’elle ne se calque pas sur la justice américaine qui a mis les procès à la mode et piétine les facultés de création.

 

Un équilibre est à trouver mais il restera de toute façon fragile comme l’écrivain, comme l’être humain. En définitive, la victoire appartiendra à la Littérature.

 

 

 

                                                                                                          Andrée Chabrol-Vacquier